
Ce tome 4, c’est un peu en résumé « David et Goliath » revisité à l’aune des combats d’aujourd’hui contre la toute-puissance de l’argent. « David », c’est une sauterelle rare et protégée, la Magicienne dentelée. « Goliath », c’est la firme Garan-Servier, en quelque sorte le « méchant » récurrent de la série. Et autour de ce bras de fer, nos remuants papys flingueurs aux opinions divergentes, jamais disposés à s’en laisser conter…
Le projet d’extension de la firme pharmaceutique Garan-Servier était pourtant bien parti, mais c’était sans compter sur un petit insecte menacé d’extinction au nom évocateur – et malicieux dans ce contexte : la Magicienne dentelée. Cette magicienne va à elle seule attirer un climat révolutionnaire dans le paisible village du Sud-ouest où réside Antoine, avec l’implantation d’une ZAD sous les fenêtres des bâtiments ultramodernes de la multinationale.
Malgré son passé de syndicaliste, Antoine apparaît ici comme la voix discordante, car il se réjouit curieusement du projet pharaonique de Garan-Servier, arguant que cela créerait des emplois dans la région et pestant contre ces « rastaquouères » de zadistes. Un prétexte des auteurs pour ne pas faire ressembler leurs « Vieux Fourneaux » à un porte voix de l’extrême-gauche tendance écolo ? A moins que cela ne soit qu’un simple parti pris objectif permettant de prendre en compte toutes les opinions… car en fin de compte, Antoine est un naïf qui reste attachant, convaincu comme beaucoup d’autres pourraient l’être, par le discours démagogique d’une entreprise cynique. Et les faits lui donneront bien évidemment tort…
Grâce au talent des deux auteurs, Paul Cauuet pour le pinceau et Wilfrid Lupano pour la plume, le lecteur aura droit à quelques trouvailles, tant graphiques que scénaristiques. Comme toujours, l’histoire est émaillée de « punchlines » truculentes qui sont un peu la marque de fabrique de la série. Le trait franquinien reste toujours aussi alerte, à l’image de nos héros octos bouillonnants, dont le plus excentrique reste Pierrot, débarquant dans la ZAD telle un météore dans un vieil autobus bringuebalant, rempli de ses frères et sœurs d’armes, tous hauts en couleurs.
Ce volet évoque immanquablement une bataille de longue haleine – celle qui, hasard du calendrier, vient de prendre fin à Notre Dame des Landes. Et c’est bien le point fort de cette série vibrionnante, centrée autour de vieux briscards du troisième âge mais en prise directe avec l’actualité, qu’elle soit politique, économique, sociale ou technologique. Une série de son temps, comme son nom ne l’indique pas. Et tout en subversion habile sous une tonalité burlesque et bon enfant.
Les Vieux Fourneaux t.4 : La Magicienne
Scénario : Wilfrid Lupano
Dessin et couleurs : Paul Cauuet
Editeur : Dargaud
54 pages – 11,99 €
Parution : 10 Novembre 2017
♦ Angoulême 2015 : Prix du public Cultura pour le tome 1 : Ceux qui restent ⇒ lire la chronique
♦ Prix Canal BD 2014 pour le tome 1
♦ Prix Fnac Belgique 2015 pour le tome 1
⇒ Lire la chronique du tome 2
⇒ Lire la chronique du tome 3
Extrait tome 4 (p.13-14) : Discussion entre Sophie et un chasseur du village :
« Bonjour jolie voisine.
— Bonjour Monsieur Larquebuse.
— Vous avez vu ? On s’est chopé une ZAD…
— Ça alors, pour une surprise…
— Une catastrophe, vous voulez dire ! A la Fédération de chasse, on avait prévu une battue au sanglier, et le préfet ne veut plus, vu que le petit bois est farci d’écologistes. Et comme je suis le président de la section locale, mes opposants se servent de l’événement pour me fragiliser. Comme quoi j’aurais jamais dû accepter, mais que je file droit devant le préfet parce que ma nièce travaille à la préfecture. Une motion est en cours pour me destituer.
— La vache, ça a l’air violent, la Fédération de chasse.
— Si vous saviez !!! Vous connaissez Guimauve Frombze ?
— Gui comment ?
— Guimauve Frombze. La série télé… avec les dragons !
— Qu… ? Ah ! Game of Thrones ?
— Oui, c’est ça, Guimauve Frombze. Eh ben, c’est de la gnognotte à côté des luttes de pouvoirs à la Fédération départementale de chasse. »
