L’histoire d’un « homme parfait »

L’Arabe du futur – Une jeunesse au Moyen-Orient © 1994 Riad Sattouf (Allary Editions)

Temps de lecture ≈ 2 mn 45

Le 24 novembre, soit dans quatre jours exactement, paraîtra le sixième et dernier tome de L’Arabe du futur, un événement éditorial incontestable. L’occasion de revenir sur les précédents volets de cette série dont personne n’avait prévu le succès, digne d’un conte de « péri ».

Le récit décalé et minimaliste d’une enfance particulière devenu saga de portée internationale

Il y a sept ans, Riad Sattouf inaugurait son imposante autobiographie avec ce premier tome, qui d’emblée rencontra un grand succès, non seulement public mais aussi critique, plaçant cette série comme une référence incontournable dans le monde du neuvième art, aux côtés des Astérix, Tintin et autres Lucky Luke. Pour un ouvrage relevant du roman graphique, il s’agissait indéniablement d’une performance, qui de plus, ne s’est pas limitée à la France et aux pays francophones. Traduit en plus de vingt langues et couvert de prix (notamment un Fauve d’or à Angoulême et une distinction du Los Angeles Book Prize), ce phénomène éditorial unique devrait faire de nouveau des étincelles avec un sixième tome prévu cette semaine.

Avant « L’Arabe »…

Avant L’Arabe du futur, Riad Sattouf s’était fait connaître en publiant La Vie secrète des jeunes, sous forme de strips dans Charlie Hebdo. Il réalisa ensuite son premier film, Les Beaux Gosses, une comédie sur l’adolescence, sorte de synthèse de son Manuel du puceau et de Retour au collège, qui rencontra un certain succès. Il y eut aussi Pascal Brutal, une série relatant les déboires d’un héros « particulièrement viril » dans un futur incertain, dont fut tiré en partie son second film Jacky au Royaume des filles, une comédie matriarcale au ton absurde qui ne trouva pas son public malgré une distribution de premier choix. Sattouf avait alors déjà publié plusieurs bandes dessinées, dont la première, Petit Verglas, scénarisée par le prolifique Eric Corbeyran, racontant l’histoire d’une petite fille cloîtrée pas son père à des fins scientifiques, le tout dans une atmosphère fantastique. Datant de 2000, cette petite série en trois tomes est une curiosité, dans le sens où elle détonne franchement avec ses publications postérieures, par le ton autant que par le graphisme.

L’Arabe du futur – Une jeunesse au Moyen-Orient © 1994 Riad Sattouf (Allary Editions)

L’histoire d’un petit franco-arabe « aux cheveux d’or » dans un monde sans pitié

Dès le premier tome, la première image des aventures du quotidien de ce gamin écartelé entre trois continents donne le ton. Riad se représente à l’âge de deux ans, tel une sorte d’angelot doté d’une chevelure blonde imposante. Il était « l’homme parfait ». Maniant à merveille l’autodérision, il va nous narrer ses origines en partant de la rencontre improbable entre sa mère bretonne et son père syrien lorsque ce dernier était venu à Paris pour y faire des études grâce à une bourse de son gouvernement. Beaucoup plus tempérée et pragmatique — surtout très patiente — Clémentine devra souvent composer avec les sautes d’humeur d’un compagnon quelque peu lunaire et fantasque, personnage fanfaron sensible aux idées de progrès, mais parfois un peu obtus et contradictoire, tenant parfois des propos racistes ou belliqueux, avec cette obsession de porter le titre honorifique de « docteur »… Au fil des années, les relations entre ses parents vont se distendre, sa mère étant à la fois lassée des frasques de son mari et gagnée par le mal du pays. Jusqu’au point de non-retour, où ce dernier commettra l’irréparable…

La capacité de l’auteur à compiler quantité de petites anecdotes, souvent insignifiantes en apparence et pourtant toujours révélatrices d’un point de vue sociétal, est impressionnante. On se demande véritablement comment à cet âge un enfant peut avoir emmagasiné autant de souvenirs dans sa mémoire ! C’est toujours très juste et à travers les yeux de Riad, ces anecdotes prennent une dimension drolatique et jubilatoire, en particulier lorsque notre blondinet arrive à l’adolescence. Il n’est plus vraiment le mignon chérubin des débuts avec son visage constellé de boutons d’acné, même on sait bien que c’est l’âge des complexes…

L’Arabe du futur – Une jeunesse au Moyen-Orient © 1994 Riad Sattouf (Allary Editions)

Les raisons d’un succès

Il n’y a assurément pas qu’une seule raison au succès du projet, la première étant assurément le talent de conteur de son auteur, de dessinateur aussi, avec ses petits personnages ronds et avenant, associés à son humour si particulier. En plus de ses qualités, le public, a fortiori français, n’a pu être qu’intrigué par ce titre extrêmement bien choisi dans un contexte où le terme « arabe » est depuis longtemps chargé de connotations, pas toujours forcément bienveillantes pour les intéressés… Et puis l’histoire personnelle de Riad, avec cette double culture qui lui a permis de vivre dans deux pays aux mœurs radicalement différentes, d’un côté la Syrie, où sa blondeur faisait de lui un être à part et où il n’a jamais vraiment « pris racine », d’un autre la Bretagne, où il était vu comme « le blondinet avec un nom arabe ». Un parcours atypique et certes enrichissant qui a donné naissance à un récit passionnant, le bouche à oreille ayant sans doute fait le reste, au-delà des frontières, à l’instar de Persépolis. Les témoignages sur une région du monde où certains archaïsmes peuvent autant révulser que fasciner intéressent le public… sans doute encore plus depuis le 11 septembre 2001.

Bref, la sortie du dernier volume de L’Arabe du futur fait office d’événement, et incontestablement, c’est la page d’une incroyable épopée qui va se tourner, laissant peut-être aux aficionados un sentiment de vide, mais c’est sans compter sur la fantaisie et la créativité de son auteur, qui a sans doute plus d’un tour dans sa boîte à crayons. En attendant, ceux-ci pourront toujours se consoler avec sa nouvelle série très bien accueillie à sa sortie l’an dernier, Le Jeune Acteur, qui raconte les débuts de Vincent Lacoste au cinéma.

L’Arabe du futur :
1. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)
2. Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985)
3. Une jeunesse au Moyen-Orient (1985-1987)
4. Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992)
5. Une jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994)
6. Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011) : à paraître le 24 novembre 2022
Scénario & dessin : Riad Sattouf
Editeur : Allary Editions

Angoulême 2015 : Fauve d’or
Grand prix RTL 2014

L’Arabe du futur – Une jeunesse au Moyen-Orient © 1994 Riad Sattouf (Allary Editions)
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