
Ce récit très attendu de l’auteur de L’Aimant nous emmène sur les rives de la Méditerranée, où le soleil fait naître des ombres inquiétantes, où l’apparente insouciance masque une terrible tragédie à venir…
Léo, jeune trentenaire employé dans une laverie, tente d’assouvir sa passion pour l’écriture. Le jour où il croise son cousin Sylvain par hasard, il est loin de se douter que quelques jours plus tard, il se retrouverait dans le Languedoc dans la résidence d’été dudit cousin. La maison étant en travaux, Sylvain lui a proposé de garder un œil sur les ouvriers. Mais dans ce décor de rêve, Léo va bientôt réaliser que quelque chose ne tourne pas rond, avec la disparition inexpliquée de deux adolescents dans l’estuaire tout proche, tandis que dans la villa voisine, les résidents se livrent à un drôle de manège…
Après L’Aimant, c’est avec une impatience non feinte que l’on attendait la nouvelle œuvre de Lucas Harari. L’auteur quitte ainsi l’atmosphère montagnarde hivernale des Alpes suisses pour épouser la douceur méditerranéenne, dans un cadre solaire idyllique. La Dernière Rose de l’été peut se résumer comme un thriller hitchcockien à l’ambiance contemplative, évoquant le cinéma de la « Nouvelle vague », avec un zeste de farniente, de liaisons dangereuses et d’amours esquissées.
Traité en apparence comme un thriller classique avec une enquête policière à la clé, La Dernière Rose de l’été comporte une dimension supplémentaire. Car comme avec le précédent opus de Luca Hariri, tout va se jouer au-delà des apparences malgré une apparente fluidité narrative, avec l’intrusion diffuse du mystère. Derrière le décor luxueux d’une villa d’architecte en bord de mer, la tension psychologique va s’accentuer pour laisser place à un cauchemar éveillé jalonné de visions perturbantes et d’images subliminales, desquelles l’auteur ne livrera guère de clés. Les personnages évoluent dans un théâtre d’ombres chinoises où l’on n’est jamais sûr de rien, où l’on ne sait jamais exactement qui manipule qui. Cela pourra dérouter le lecteur avide de réponses toutes faites, que les références à Martin Eden de Jack London ou aux traditions chamaniques via les statues hopis du père de Rose ne viendront pas tranquilliser.
Contrastant avec la tragédie annoncée du récit, l’élégante ligne claire de Lucas Harari, un rien rétro, est sublimée par le choix des couleurs vives, bien adaptées à cet environnement balnéaire qui immerge littéralement le lecteur, tout comme les superbes scènes nocturnes aux mille nuances bleutées. Comme dans L’Aimant, l’architecture tient une place importante, en particulier par l’entremise de la magnifique villa de Georges Plyret perchée sur une falaise. Et tout cela contribue à créer une atmosphère unique nimbée d’une plaisante aura littéraire où le glamour convole avec le mystère. La Beat Generation n’est pas loin… Graphiquement, on peut évidemment penser à Hergé (Léo étant une sorte de Tintin écrivain par sa jeunesse célibataire et candide, comme l’était Pierre dans L’Aimant), mais La Dernière Rose de l’été, c’est aussi un peu la rencontre entre Charles Burns et Jacques de Loustal, dans une zone où l’étrangeté du premier dialoguerait avec la mélancolie radieuse de l’autre.
L’éditeur Sarbacane, qui a su faire preuve de flair avec cet auteur talentueux, nous sert l’histoire dans un superbe écrin : impression en grand format sur papier de qualité, le tout habillé d’une jolie couverture toilée, de couleur rose comme il se doit. La Dernière Rose de l’été se voit ainsi hissée au statut de « Beau livre », véritable plaisir de collectionneur, dont les pages sont comme autant de pétales se déployant au fil du récit pour exhaler des arômes envoûtants et intemporels, à condition d’en accepter les épines… En somme, le livre parfait à déguster avant d’aborder les premiers frimas de l’automne.
La Dernière Rose de l’été
Scénario & dessin : Lucas Harari
Editeur : Sarbacane
192 pages – 29 €
Parution : 26 août 2020
Extrait p.130 – En signe de reconnaissance pour avoir ramené sa fille Rose, Georges Plyret invite Léo à boire un verre…:
Georges Plyret — Entrez, entrez, ne soyez pas timide… Vous connaissez déjà la maison, je crois… (lui tendant un verre de rhum) Tenez, goûtez-moi ça. C’est un des meilleurs au monde. Je le fais importer directement de Fort-de-France. Le prix est indécent… Et c’est encore meilleur avec un Havane…
Léo — Non merci, j’ai mes cigarettes.
Georges Plyret — Ah oui… (face à une statue hopi) La Kotchina à tête de loup, elle est belle, n’est-ce pas ? Pour les Hopis du Nouveau-Mexique, ces poupées incarnent les âmes des premiers indigènes. Elles sont offertes aux adolescents lors de rites initiatiques. C’est une sorte de premier contact avec le monde des morts. Les Indiens veulent en interdire le commerce car il s’agit pour eux d’objets de culte et non d’œuvres d’art. La moindre représentation publique leur est une offense. On dit même qu’une terrible malédiction s’abt sur quiconque ose en regarder une sans y avoir été invité.
Léo — Vous êtes marchand d’art, c’est ça ?
Georges Plyret — Collectionneur ! Et vous ? Attendez ! Laissez-moi deviner… (découvrant Martin Eden dans la main de Léo) A mon avis, vous caressez l’ambition d’écrire… Ah, j’ai vu juste n’est-ce pas ? Martin Eden ! Dans les mains d’un jeune homme de votre âge, ce livre fait l’effet d’une carte de visite. Et puis vous avez le teint littéraire… romantique, même ! Je me trompe ? Mais avez-vous aussi le goût du tragique ?

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