
Dans notre monde tourmenté comme jamais, confronté à un futur incertain, il existe encore de « belles personnes », vertueuses et inspirantes. Quatorze portraits d’inconnus à découvrir, présentés par l’excellente Chloé Cruchaudet.
Chloé Cruchaudet présente dans cet ouvrage, né d’un projet impulsé par le festival Lyon BD, le portrait de quatorze anonymes (dont un chien !), des portraits qu’elle a sélectionnés suite à un appel à contribution. Des portraits touchants, tout en délicatesse qui sont autant d’hommages à des personnages sans qui le monde serait peut-être un peu moins vivable, un peu moins magique…
Le livre commence avec le portrait de Denise, sorcière des temps modernes cultivant dans son jardin-univers moult plantes étranges lui permettant de confectionner des mixtures en tous genres. Et puis il y a Mint, ce chien attachant, mais au comportement turbulent et irrationnel, destiné à être guide de malvoyants. Il y a aussi ce « frère », « héros du quotidien », luttant au jour le jour pour supporter sa schizophrénie, qui recouvre d’une ombre terrible son envie de vivre et toutes ses qualités d’empathie et de générosité. On découvre également Madame Neuville, ancienne prof de philo, le gardien de nuit d’une station service, Romane l’infirmière qui a soigné un fils prématuré, ainsi que toutes ses collègues dévouées, Robert le menuisier, ou encore ce « prince » des soirées lyonnaises, poète fugace et solitaire.
En évoquant des profils si divers, du proche à l’anonyme, Chloé Cruchaudet, tout en leur adressant ce bel hommage, nous montre des personnalités exemplaires par leur attitude, des échantillons d’humanité qui pourraient bien donner encore envie d’espérer et de croire à son futur. Pour ce faire, l’autrice lyonnaise a préféré, plutôt que de les rencontrer, « passer par le filtre de l’admiration voire de l’amour de la personne qui la raconte ». Mis en images sur quelques pages telles des mini-histoires, ces portraits ont été élaborés avec le trait minimaliste et mouvant qu’on lui connaît et une approche graphique adaptée. Toutes ces tranches de vie sont complétées en seconde partie par le texte dans sa forme originelle, approfondissant la personnalité de l’intéressé, accompagné d’un dessin pleine page, à la fois plus réaliste et plus pictural. Les Belles Personnes se présente ainsi comme un ouvrage à la fois récréatif et plein d’humanité, signé de l’une des autrices les plus talentueuses du moment, déjà plébiscitée il y a sept ans à Angoulême avec Mauvais Genre.
Les Belles Personnes
D’après des textes anonymes
Scénario & dessin = Chloé Cruchaudet
Editeur : Soleil
Collection Noctambule
144 pages – 17,95 €
Parution : 21 octobre 2020
Extrait p.134 – Le Prince (par Benoît L.) :
« Je suis arrivé à Lyon il y a quelques années, pour mes études. (…) L’année dernière, je me rendais souvent avec des amis au Tony’s, sur la place Antonin Poncet. Un bar très fréquenté, plein de vie et de visages. (…) Plusieurs fois, je l’ai remarqué. Un jeune homme, même pas la trentaine. Seul, toujours seul. L’air tantôt mélancolique, tantôt pensif. Parfois, le patron venait le voir pour lui serrer la main. (…) Il ne se séparait jamais d’une pinte de bière. Et surtout, il écrivait, tout le temps. (…) Même les vendredis ou samedis soirs, quand toute la jeunesse lyonnaise profitait de la vie, il était seul, à sa table, en train d’écrire. Il trouvait la concentration nécessaire pour écrire, au milieu de la musique et des rires. Les rires des autres, à jamais des autres, et qui n’étaient pas les siens. Après chaque gorgée de bière, il esquissait un sourire, comme s’il était fier d’appartenir à un univers où il avait sa place et où, pourtant, il occupait un rôle à part. Parmi tous ces êtres, ces visages et ces corps, il faisait partie du tableau, et même des meubles, et pourtant il était seul. (…)
Au milieu de tous ces jeunes gens, il se sentait lyonnais, il se sentait vivant. Il suffisait, pour cela, de contempler… Il m’a confié marcher dans les rues de Lyon, chaque soir, s’arrêter pendant plusieurs minutes pour voir le Rhône et la Saône s’écouler, et les bâtiments et monuments s’éclairer comme dans un rêve. Oui, mais un rêve fait de chair. « Le secret, m’a-t-il dit, n’est pas d’être prince — qui croirait à cette fable ? —, mais d’agir en prince, tous les jours. Et c’est ça, le véritable héroïsme. Rendre à chaque jour sa beauté, contempler le monde dans les quelques paires d’yeux qui, au milieu de la foule, nous adressent pourtant mille promesses. »
