
Paris, 1914. Louise et Paul viennent à peine de se marier que la guerre éclate. Horrifié par cette boucherie sans nom, Paul va dans un premier temps s’automutiler pour finalement déserter et rejoindre son épouse qui lui trouvera une chambre d’hôtel où il devra rester cloitré en permanence. Mais les journées sont longues entre les quatre murs de cette chambre miteuse et sans horizon. Gagné par l’ennui, il lui viendra l’idée de se travestir pour profiter d’un semblant de liberté. Une initiative qui changera non seulement sa vie et celle de son couple, mais également sa personnalité…
Une sacrée histoire que celle de Paul Grappe ! Curieusement, ce n’est qu’en refermant la dernière page que j’ai réalisé qu’il s’agissait d’une histoire vraie. Et pourtant je ne doute pas qu’un scénariste brillant ait pu concevoir un récit aussi incroyable, aussi dérangeant, aussi fascinant. Un gros pavé dans la mare fétide des opposants au mariage gay et autres paranoïaques redoutant un enseignement du plus « mauvais genre »… Et quand je dis « gros pavé », surtout ne pas se méprendre ! Car si pavé il y a, celui-ci est tout en finesse, servi par un joli dessin au pastel à dominante gris sépia parsemé de touches de rouge, pour évoquer d’une part le sang de la boucherie 14-18 et d’autre part la relation passionnelle et tumultueuse entre Louise et Paul ou encore la séduction un brin provocante. Au niveau du trait, on est presque plus dans l’esquisse, le but étant de faire ressortir les ambiances, les attitudes et les expressions des personnages, ce que Chloé Cruchaudet réussit avec énormément de talent. C’est vraiment très très beau à regarder et on se dit que les contours des cases auraient été superflus dans une histoire sur la relativité du genre…
Par ailleurs inspirée d’un roman, Mauvais Genre nous fait vivre la transformation physique et morale d’un homme qui au départ se travestissait uniquement pour sortir de la clandestinité. Un rien macho au départ, Paul va peu à peu découvrir sa part de féminité qu’il finira par assumer totalement et mettre en valeur en devenant la star des soirées olé-olé du Bois de Boulogne. Du coup, on se dit que ce n’est peut-être pas tout à fait par hasard si on disait de ces années qu’elles étaient « folles »… L’humour n’est pas absent et vient judicieusement contrebalancer la dureté de certaines scènes évoquant la Grande guerre au début de l’album, une guerre où par chance Paul n’aura (délibérément) laissé qu’un doigt pour éviter d’y laisser le reste.
Il va sans dire que ce roman graphique est un énorme coup de cœur pour moi, et incontestablement une des meilleures productions de l’année 2013.
Mauvais Genre
Scénario & dessin : Chloé Cruchaudet
Editeur : Delcourt
Collection : Mirages
160 pages – 17,95 €
Parution : 18 septembre 2013
♦ Angoulême 2014 : Prix du public Cultura
♦ Grand Prix de la Critique ABCD 2014
♦ Prix Coup de cœur/Quai des Bulles 2013