Après nous le déluge, et après ?

Soon © 2019 Thomas Cadène et Benjamin Adam (Dargaud)

Que sera devenue la Terre dans un siècle ? Comme prévu, le « déluge » a eu lieu… Pourtant, loin de sombrer dans le catastrophisme, les auteurs nous proposent un récit lucide et empreint de réflexion…

En 2151, la Terre vient de traverser un siècle de cataclysmes et d’épidémies qui ont décimé la quasi-totalité de la population. Les survivants ont été regroupés dans sept mégapoles et l’ensemble des terres encore viables transformées en réserves naturelles. A la tête d’une mission d’exploration spatiale sans retour, Simone Jones, quelques jours avant le décollage, va chercher à se réconcilier avec son fils Youri, très opposé au projet…

Soon fait partie des bonnes surprises de cette fin d’année et nous permet de nous familiariser davantage avec ces deux auteurs. L’un, Benjamin Adam, trentenaire déjà distingué en 2014 à Angoulême pour son polar Lartigues et Prévert (La Pastèque), et l’autre, Thomas Cadène, très actif dans le milieu de la bande dessinée depuis une dizaine d’années. Nous sommes là en présence d’un bon gros pavé d’anticipation, qui disons-le d’emblée, refroidira probablement les amateurs d’aventures et de rebondissements propres à la SF mainstream. Rien de tout cela ici, non, Soon est une BD dense et contemplative, axée sur une réflexion fortement politique, dont le thème central est une extrapolation de notre monde actuel aux prises avec ses crises sociales et écologiques.

L’ouvrage s’articule auteur de deux narrations parallèles : l’une centrée autour des relations conflictuelles entre Simone Jones, astronaute en charge d’une mission d’exploration spatiale, et son fils Youri, qui n’admet pas son départ ; l’autre servant à situer le contexte politique et économique global, avec un historique expliquant la situation présente. Ce parti pris d’alterner petite et grande histoire insuffle au récit une respiration salutaire, tant l’ouvrage est complexe et exigeant dans sa façon d’exposer tous les points de vue, face à une situation où l’enjeu n’est rien de moins que la survie de l’humanité. Faut-il consacrer son énergie à coloniser l’espace ou réparer une planète bien abimée par des catastrophes successives survenues au 21e siècle ? On admire le travail documentaire et analytique extrêmement fouillé des auteurs qui réussissent à nous captiver tout en fournissant matière à réflexion.

L’originalité narrative se retrouve dans le graphisme, dont on sent très bien la patte d’illustrateur de Benjamin Adam avec ce trait moderne et stylisé, peut-être parfois au détriment de la lisibilité mais dans l’ensemble très plaisant à l’œil. Le choix des couleurs a son importance du fait qu’il clarifie le procédé narratif, avec une bichromie différente pour chaque chapitre du récit principal, et une bichromie toujours verte pour les intermèdes contextuels.

Tout cela fait de Soon une œuvre qui ne passe pas inaperçue et justifie tout l’intérêt que l’on porte au neuvième art dans sa capacité à allier création et réflexion. C’est le travail de deux auteurs inventifs, tous deux capables de tenir à la fois la plume et le pinceau, qui donne naissance à ce récit extrêmement lucide sur notre avenir proche – donc pas vraiment optimiste – mais pas non plus déprimant, si l’on considère que seul un effort d’analyse poussé permet, à l’inverse d’une action désordonnée à courte vue, de prendre les bonnes décisions pour forger notre avenir sur le long terme. Le chaos est proche et inévitable, voyons au-delà… c’est ce que nous propose cet ouvrage singulier.

Soon
Scénario : Thomas Cadène et Benjamin Adam
Dessin : Benjamin Adam
Editeur : Dargaud
213 pages – 27 €
Parution : 25 octobre 2019

Extrait p.70 – Simulant un examen oral d’Histoire, Youri dresse devant sa mère Simone un récapitulatif historique depuis la fameuse année des onze tempêtes dévastatrices :

Youri — Après onze ans de discussions, les… dix principales organisations s’accordent sur un nouvel équilibre euh… géographique, philosophique, démocratique et économique, qui s’appuie sur la préservation de la planète.
Simone — Houlà, pas si vite, comment ça s’est fait ?
Youri — Après 2060, les gens se sont regroupés un peu partout les habitants des zones irradiées, des groupes pour l’Afrique, l’Amérique aussi, dans les îles ou pour la santé et la culture.
Simone — Des regroupements de gens, il y en a toujours eu. L’ironie, c’est qu’une même envie de changement, selon le moment où elle survient, peut être perçue comme dangereuse ou bénéfique pour la société. C’est exactement sur cette période que portait le film de ton grand-père, tu sais. On le regardera ensemble un jour. Bref, continue.
Youri — La mesure principale, c’est les zones préservées. Quatre-vingt-huit pour cent des terres émergées sont rendues à la nature, c’est la zone 1. Personne n’y est autorisé. On n’y fait pas de cultures, ni de recherches, ce n’est plus chez nous. Nous, on a le reste. Douze pour cent. La plupart des humains sont répartis dans sept villes, construites sur d’anciennes zones urbaines : ce sont les villes sous contrat.

Soon © 2019 Thomas Cadène et Benjamin Adam (Dargaud)

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