La révolte des enfants de la Terre

Epiphania tome 2 © 2018 Ludovic Debeurme (Casterman)

Après une introduction pour le moins intriguante, Ludovic Debeurme poursuit avec brio la construction de sa trilogie SF en phase avec l’époque et hors des sentiers battus.

Le premier tome s’était refermé sur un cliffhanger qui voyait Koji aux prises avec un dilemme douloureux lors d’une rixe l’opposant lui et son père adoptif avec les mixbodies. Koji allait-il livrer ce dernier à la colère de ses congénères pour prendre le maquis avec eux, ou défendre celui qui l’avait adopté avec amour mais appartenait à l’espèce humaine, celle qui avait finalement décidé d’entrer en guerre avec ces êtres hybrides, mi-hommes mi-bêtes, trop différents, trop dérangeants…

Le second volet de cette trilogie verra ainsi une montée en crescendo de l’intrigue. Après avoir laissé la vie sauve au père de Koji, le petit groupe d’Epiphanians, qui se sont choisis cette appellation en opposition au dévalorisant mixbodies des humains, vont partir en expédition dans les montagnes, là où ils pensent trouver des réponses à leur présence sur Terre, à l’endroit même où des météorites s’étaient écrasées quelques années plus tôt. Un événement qui curieusement avait coïncidé à leur « éclosion » soudaine par milliers à travers le monde. Et ce qui les y attend ne risque guère de les réconcilier avec le genre humain, mais va au contraire les entraîner dans un engrenage destructeur sous la houlette d’un mystérieux homme-chauve-souris vengeur dénommé Vespero, tandis que le chaos semble se répandre à travers le globe…

En s’inspirant des comics américains, Ludovic Debeurme a produit une œuvre tout à fait étonnante. Avec Epiphania, il ne s’est pas contenté de singer la production d’outre-Atlantique même s’il en reprend une bonne partie des codes, mais au contraire s’est efforcé d’intégrer le genre à son univers très particulier, qui évoque par certains moments celui de Charles Burns et de l’école alternative US. A la fois très bien structurée dans la narration, l’histoire pourra plaire au plus grand nombre, mais la violence brute qui traverse les productions marveliennes est ici écrémée au profit d’un esprit européen plus décalé, plus poétique.

Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans son trait, plus réaliste que dans ses œuvres précédentes mais qui en a conservé l’étrangeté et le minimalisme fragile. En narrant l’épopée des Epiphanians, Debeurme semble totalement pris d’empathie pour eux, révulsé lui aussi par la bêtise des humains, qui acceptent mal les « difformités » de ces êtres parias. Et pourtant, la monstruosité peut aller bien au-delà des simples apparences physiques et souvent, elle est indissociable de la nature humaine… Si on peut avoir du mal à souscrire au premier coup d’œil au style graphique atypique, force est de reconnaître que celui-ci exerce une certaine fascination. Est-ce la candeur du trait, associé à la brutalité de certaines images, qui produit cet effet ? Toujours est-il qu’il est difficile de rester indifférent à un tel récit, qu’au fond on a presque du mal à classer dans une catégorie précise, tant il a le potentiel pour toucher des types de public très variés.

Epiphania, tome 2
Scénario & dessin : Ludovic Debeurme
Editeur : Casterman
136 pages – 23 €
Parution : 30 mai 2018

Extrait p.41 à 44- Bee raconte à Koji les dures conditions de sa venue au monde et de son éducation :

Bee — Tu sais, il y en a très peu qui ont grandi comme toi dans une vraie famille… Ça n’a concerné qu’une petite partie qui est née dans des jardins ou des champs privés.
Koji — Toi, tu es arrivée dans un parc public ?
Bee — Non, dans une forêt… (…) Et crois-moi, celui qui m’a sorti de mon trou n’avait rien d’une sage-femme ou d’une maman (…). Ils nous ont mis quelque temps en caissons de confinement, le temps de vérifier qu’on était porteurs d’aucun virus. Puis, ils ont monté des camps à la hâte… Une centaine répartie dans le pays… Quand ils ont vu à quelle vitesse on grandissait, et compris que de simples tentes ne nous retiendraient pas longtemps, ils ont construit des baraquements en dur. Je ne crois pas qu’ils nous aient jamais vraiment considérés comme des enfants… Ils voulaient apprendre quelque chose de nous, mais ils n’ont pas cherché au bon endroit. Ils pensaient trouver dans notre ADN, dans notre corps, ce qui faisait défaut au leur. Des améliorations… des solutions à leurs maladies… Mais ils n’ont rencontré que la différence… l’incompatibilité… Nous étions définitivement l’autre, l’étranger…

Epiphania tome 2 © 2018 Ludovic Debeurme (Casterman)

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