Des Iraniennes qui ne font pas dans la dentelle

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Broderies © 2003 Marjane Satrapi (L’Association)

En Iran, après le repas, les femmes débarrassent la table puis vont papoter autour d’un samovar, tandis que les hommes se consacrent à la sieste. Heureusement pour eux, car s’ils ne prêtaient qu’un instant attention à ce que racontent leurs chères épouses dans leur dos, ils feraient sans doute moins les fiers et dégringoleraient de ce qu’ils pensent être leur piédestal… Trois ans après le très remarqué Persépolis, Marjane Satrapi est revenue sur sa jeunesse iranienne pour nous réjouir avec ces conversations féminines.

broderiesPour les Iraniennes, la broderie n’est pas seulement une occupation à laquelle s’adonne la gente féminine. Le terme comporte également, non sans une certaine malice, une allusion chirurgicale à la virginité « retrouvée » des jeunes filles qui souhaitent se marier après avoir goûté aux plaisirs de la chair.

Ces discussions à bâtons rompus sur le ton du badinage révèlent une réalité moins rose de la condition féminine en Iran, avec la souffrance et le mépris que les femmes doivent endurer dans le cadre du mariage. Mais comme dans Persépolis, Marjane Satrapi a judicieusement choisi l’humour, une arme aussi efficace sinon plus que la révolte. Les fanatiques religieux ne considèrent-ils pas le rire comme la marque du diable, a fortiori celui des femmes ? Quoi qu’il en soit, ceux-ci ont su nous montrer de façon peu amène, ces dernières années, qu’ils ne l’appréciaient guère.

Certains esprits chagrins y verront peut-être un parti pris misandre – le mâle ne ressort guère grandi de cet étrillage verbal – mais pour les autres, ces anecdotes, souvent croustillantes, apparaîtront comme un exutoire des plus légitimes. Tout au long du livre, les hommes ne jouent qu’un rôle secondaire et peu enviable, sans se douter une seconde qu’ils ne sont que des « pachas » en sursis, potentiellement déchus par les sarcasmes ravageurs de ces femmes, dont certaines apparaissent très libérées et de manière plus surprenante, libertines. Ce n’est qu’en apparence qu’elles sont soumises, car elles acceptent volontiers de faire leur autocritique, conscientes de payer pour leur propre bêtise à tout vouloir miser sur leur mari. Si la révolution a eu lieu en Iran il y a près de 40 ans, une autre, féministe celle-là, couve toujours pour la moitié de la population. Et à la lecture de l’ouvrage, l’espoir est permis…

Avec une certaine jubilation, on retrouve le personnage de la grand-mère frondeuse de Persépolis. Le trait noir et blanc de Marjane Satrapi reste à la fois minimaliste et naïf mais très vivant, avec une certaine liberté dans la mise en page, d’où les cases sont absentes.

On l’avait déjà bien pressenti avec Persépolis, mais Broderies ne fait que confirmer le côté passionaria de l’auteure, prête à partir en guerre contre les mollahs et autres patriarches fanatiques, avec un crayon j’entends – une arme puissante quand on connaît la capacité de la plume à se changer en épée et qu’on voit l’acharnement des pouvoirs autoritaires à réprimer dessinateurs, journalistes et intellectuels.

Broderies
Scénario & dessin : Marjane Stratapi
Editeur : L’Association
136 pages – 16 €
Parution : mars 2003

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