
Guy Delisle a passé une année à Jérusalem aux côtés de sa compagne en mission pour MSF. Dans cette région déchirée par un conflit religieux millénaire, régulièrement au centre de l’actualité internationale, le bédéaste-reporter-voyageur québécois a produit une BD passionnante à partir de son carnet de bord et de ses nombreux croquis.
J’ai beaucoup apprécié cet ouvrage à plus d’un titre. Tout d’abord, la forme. Un pavé de 320 pages divisé en petites histoires courtes – qui sont plus des anecdotes en fait -, bénéficiant du style minimaliste impeccable de l’auteur. Le fond ensuite. Il était impossible de parler de Jérusalem sans évoquer la situation politique complexe et épineuse, a fortiori il fallait éviter de froisser les susceptibilités aiguisées par les religieux et le pouvoir politique. Guy Delisle a su aborder la question de la manière la plus simple et la plus judicieuse qui soit. En se mettant dans la peau du candide – comme il l’a fait avec ses autres productions – et en racontant sa vie au quotidien, aussi bien à coup d’anecdotes personnelles que de témoignages d’habitants, avec toute l’objectivité possible du voyageur, mais aussi avec humilité, sensibilité et humour. Le résultat est plus que probant. D’un sujet grave et plombant, l’auteur a produit quelque chose d’équilibré voire ludique, recourant à l’humour lorsque le choc visuel était trop fort, lorsque l’impensable entrait en scène, devant ses yeux atterrés…
Mais ce qu’on retient surtout, c’est l’omniprésence écrasante de ce mur érigé entre Israël et la Palestine, qui tel une énorme cicatrice maléfique, divise des communautés qui ont beaucoup plus en commun qu’elles ne veulent l’admettre. C’est aussi cette obsession maladive des Israéliens extrémistes de conquérir chaque parcelle de territoire palestinien au mépris du droit international (un simple campement est considéré comme une colonie, et peut être relié au réseau électrique et à l’eau courante quelques jours après son installation), avec bien souvent les ultrareligieux en fer de lance – ces épouvantails à papillotes déments arc-boutés sur leur « mauvaise foi » – dont la priorité n’est certainement pas de prêcher l’amour, mais bien plutôt de pratiquer l’épuration ethnique vis-à-vis des Palestiniens.
La lecture de ces Chroniques de Jérusalem, bien qu’enrichissante, n’incite guère à l’optimisme, et on voit mal comment l’issue pourrait être positive, d’autant que la situation n’a cessé de s’aggraver au fil des ans. Vers la fin, l’auteur demande à un haut diplomate chargé de faire avancer le processus de paix entre Israël et la Palestine : « Vous passez par des phases optimistes de temps en temps, ou c’est plutôt pessimiste la plupart du temps ? » Et le diplomate de répondre sans détour : « C’est plutôt pessimiste la plupart du temps… »
L’ouvrage se termine sur cette image extrêmement forte, incroyable, d’un Israélien trônant fièrement sur le toit d’une maison dont il vient d’éjecter, à l’aide d’une milice privée, leurs occupants palestiniens, et clamant avec arrogance : « It’s my house, now ! ». Circulez, y a rien à voir. Triste…
Chroniques de Jérusalem
Scénario et dessin : Guy Delisle
Editeur : Delcourt
Collection : Shampooing
170 pages – 25 €
Parution : 16 Novembre 2011
♦ Angoulême 2012 : Fauve d’or (prix du meilleur album)