
Figure emblématique du poète maudit, Paul Verlaine a vécu son art sans concession, guidé par son seul instinct, dans un monde trop étroit pour ses rêves. « Ô Verlaine ! » constitue une adaptation honnête du roman flamboyant de Jean Teulé en bande dessinée.
Paris, 1895. Verlaine, immense poète du siècle finissant, se meurt. Devenu l’ombre de lui-même, il se réfugie dans l’alcool et a restreint ses déplacements à son quartier. Entre l’appartement miteux de Nini Mouton, seulement intéressée par le bénéfice qu’elle peut en tirer grâce à ses poèmes devenus rares, l’hôtel de passe où il courtise Philomène, qui le plume dès qu’il parvient à toucher quelque subside de la part d’âmes charitables, et les bistrots où il sirote son absinthe avec qui voudra bien lui payer un coup, Pauvre Lelian traîne sans conviction ses guêtres de clochard malade… Et puis un jour, Cornuty, jeune admirateur inconditionnel du « prince des poètes », débarque de sa campagne pour se faire ange gardien, tandis que Verlaine commence à susciter un fort engouement dans le milieu étudiant parisien… mais l’ange candide, aveuglé par le culte qu’il voue à l’homme, s’avère quelque peu diabolique, et gare à qui osera toucher à un cheveu du poète !
Il semble acquis que désormais, les romans de Jean Teulé feront systématiquement l’objet d’une adaptation en bande dessinée. Il est vrai qu’ils s’y prêtent particulièrement bien et qu’en plus, cet auteur extrêmement talentueux s’est lui-même essayé au neuvième art à ses débuts, avant de passer définitivement à la littérature. Et on ne pourra lui en vouloir, car force est d’admettre qu’il possède une plume magnifique. Ô Verlaine !, paru en 2003, n’avait jamais été adapté mais c’est désormais chose faite grâce aux Éditions Steinkis. Après le formidable Charly 9, qui avait placé la barre très haut, il paraissait difficile de faire aussi bien. Pourtant, sans égaler ce dernier, Philippe Thirault et Olivier Deloye s’en sortent plutôt bien.
Thirault, le scénariste, a su produire quelque chose de fluide tout en respectant (trop ?) scrupuleusement la trame de l’original. Il n’y a que dans la seconde partie qu’il a pris quelques libertés, sans toutefois dénaturer l’ensemble. Très souvent, les dialogues de Teulé sont repris tel quel, mais étrangement, la truculence et l’humour ne ressortent pas aussi bien ici que dans le roman. On ne peut donc pas parler de valeur ajoutée ici, mais cela reste acceptable.
Graphiquement, Olivier Deloye a totalement fait fi des cases, laissant ses vignettes trouver leur place naturellement sur la page, ce qui semble être une approche pertinente pour évoquer un poète aussi libre que Verlaine. Le trait a un côté à la fois « imparfait » et très personnel qu’on apprécie beaucoup. Chacun des nombreux personnages est identifiable aisément, et c’est un vrai plus. Verlaine correspond très bien à l’idée que l’on s’en fait d’après le texte de Teulé, avec son « front fantastique d’effrayant dégénéré » et ses yeux de « mongol ». Certaines vignettes sont juste magnifiques, mais il n’y a aucun dessin en pleine page, ce qui est un peu dommage et ne fait pas suffisamment prendre la mesure du talent de Deloye.
En résumé, cette bande dessinée ne surpasse pas le roman mais reste de bonne facture, et pourra contenter ceux qui sont allergiques à la littérature (et on se demanderait bien pourquoi à partir du moment où l’on décide de lire un ouvrage évoquant un personnage ayant autant contribué au prestige de la langue française). Quoiqu’il en soit, cela sera toujours une bonne chose, car dans les deux cas, on apprendra à se familiariser avec ce grand poète à la vie tumultueuse que fut Verlaine, quand bien même cela ne concerne que la dernière année de sa vie.
Ô Verlaine !
D’après le roman de Jean Teulé
Scénario : Philippe Thirault
Dessin : Olivier Deloye
Editeur : Steinkis
110 pages – 18 €
Parution : 15 avril 2021
Extrait p.39 — Verlaine, dans son lit d’hôpital, recevant la visite de ses amis, se met à réciter :
Verlaine — Syphilis
Altération sanguine
Diabète
Souffle au cœur
Cirrhose
Erysipèle infectieux
Hydarthrose jambe gauche
PneumonieAlors qu’est-ce que vous pensez de mes derniers quatrains ?
Cazals, horrifié — Tu as tout ça ?
Verlaine — Ne vous en faites pas, mes petits copains, j’ai autant de projets en tête que j’ai de bobos au corps. Petit bonhomme n’est pas…. OOOH ! (hurlement de douleur)… Je ne veux pas qu’ils me coupent le pied. Attention Cazals, tu es sur le lit du mort.
Cazals — Hein ?
Verlaine — Le lit 27 a mauvaise réputation. Depuis la construction de l’hôpital, personne n’y est encore mort, mais aucun malade n’en veut par crainte d’inaugurer une série néfaste. Il est toujours vide. On l’appelle le lit du mort.
