Quand le 9ème art colle une gifle au 7ème

Pour en finir avec le cinéma © 2011 Blutch (Dargaud)

Cet album inclassable fournit à Blutch l’occasion de parcourir l’histoire du 7ème art, disséquant à l’aide de son trait acéré le modèle hollywoodien dans une tonalité très « nouvelle vague ». En quelques 80 pages, l’auteur s’interroge sur le rôle du cinéma et son rapport à l’art, et nous livre un constat amer et impitoyable : le cinéma est « la supercherie suprême, la bourgeoisie industrielle qui avance masquée ». Un piège tragique pour les acteurs qui sont conduits à livrer à tout le monde le spectacle de leur lente décrépitude malgré tous leurs efforts pour se farder et masquer les effets du temps…

lutch met ainsi en avant la dimension érotique du cinéma. Pour lui, les actrices sont des objets à fantasme manipulés par des producteurs-maquereaux. Le cinéma est LA révolution du XXe siècle : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des pin-ups à la plastique parfaite sont livrées en pâture au plus grand nombre, telles des victimes sacrificielles entre les mains d’industriels vénaux davantage préoccupés par le nombre d’entrées en salle que par l’aspect artistique (la métaphore de King Kong est parlante).

Il en ressort une forte impression de désenchantement, même si on sent que l’auteur, de par son érudition, est – ou a été – un passionné de cinéma. L’album grouille de nombreuses références qui n’échapperont pas aux cinéphiles, en particulier ceux attachés à la grande époque « Quartier latin », d’ailleurs eux-mêmes égratignés au passage… Avec des questions contenant leurs propres réponses : La cinéphilie, simple pratique masturbatoire ? (« le ciné-club était une entreprise faite pour baiser »). Le cinéma, « filet à papillons pour petites filles » ? Miroir poussant à l’identification compulsive voire pathologique des petits garçons jusqu’à l’âge adulte aux héros américains (tels Burt Lancaster sur lequel Blutch semble faire une fixette et semble prendre un malin plaisir à démystifier) ?

Blutch insuffle à sa réflexion une poésie âpre et hallucinée soulignée par un trait épais et anguleux, comme s’il avait dessiné avec un couteau. Structuré de façon aléatoire, tel un monologue intérieur à bâtons rompus, le propos est cérébral et torturé et pourra rebuter quiconque n’est pas cinéphile dans le sens noble du terme, si tant est que l’on trouve une noblesse au 7ème art. Moins attiré par les salles obscures depuis quelques temps, je ne pouvais être qu’interpelé par le titre de cet album, qui je dois dire, a apporté un peu d’eau à mon moulin et ne fera que me rendre davantage indifférent vis-à-vis du cinéma, tout particulièrement l’industrie hollywoodienne et ses acteurs dont les nombrils réunis pourraient contenir toute l’eau du Pacifique. Mais après tout, s’il y en a que ça fait encore rêver… En résumé, une œuvre à lire et à relire afin d’en saisir toutes les subtilités. (août 2014)

Pour en finir avec le cinéma
Textes et dessin : Blutch
Éditeur : Dargaud
88 pages – 19,99 €
Parution : 9 septembre 2011

Pour en finir avec le cinéma © 2011 Blutch (Dargaud)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.