
Les rapports sexuels sont-ils plus intenses quand ils sont transgressifs ? Ce polar intimiste et intrigant tente de nous livrer quelques réponses mais ne tient malheureusement pas toutes ses promesses.
aris, de nos jours. Une jeune femme vient d’être assassinée chez elle. Jeanne Condorcet, flic chargée de l’enquête, va vite réaliser qu’il s’agit d’un crime sexuel impliquant une organisation secrète spécialisée dans les parties fines. Elle-même ne dédaignant pas le sexe licencieux, cette enquête s’avérera être pour elle totalement inédite…
Polaris ou la nuit de Circé. Un titre élégant et mystérieux associé à une couverture un peu fade, reflétant assez bien la teneur de cet ouvrage au pitch intrigant : une enquête policière dans les milieux libertins, conduite par une jeune lieutenant, Jeanne Condorcet, elle-même adepte des jeux sexuels déviants. Et le lecteur de se dire : « Tiens donc ? Une œuvre érotique qu’on n’aurait plus à dissimuler dans les recoins obscurs de sa bibliothèque et dont on pourrait clamer haut et fort tout le bien qu’on pense ? ».
C’est donc armé des meilleures dispositions que l’on attaque ce one-shot signé Fabien Vehlmann, auteur prolixe qui a notamment participé à la série jeunesse à succès Seuls et a également écrit pour Kerascoët (Jolies Ténèbres et Satanie). Au dessin, son frère d’armes Gwen de Bonneval, par ailleurs scénariste à ses heures, est loin d’être un amateur, avec à son actif nombre d’ouvrages qui lui ont permis d’utiliser alternativement le pinceau et la plume.
Après une intro lymphatique, le récit embraye sur un crime sexuel commis dans des circonstances mystérieuses, peut-être un acte sexuel qui aurait mal tourné… En menant son enquête, Jeanne va se retrouver happée au cœur d’une organisation secrète créée dans les années 50 par une prostituée libertine amie des artistes, Polaris, dans le but d’expérimenter d’autres façons de pratiquer la sexualité. Au terme de l’album, force de constater que non seulement l’intrigue est peu palpitante, souffrant d’un manque de rythme, mais qu’en plus le dénouement est prévisible, ce qui pour un polar constitue un double handicap. Reste le fond, qui est peut-être la seule chose permettant de maintenir l’attention du lecteur, avec des questions passionnantes autour de la sexualité : l’érotisme positif et créatif, sa part cérébrale et sa mesure (avec le fameux érosismogramme), à mille lieues des pulsions sexuelles primaires, la transgression et bien sûr le consentement des partenaires dans les pratiques SM. Malheureusement, telles des traces de pas dans le sable, toutes ces réflexions se trouvent bien vite noyées sous une vague de monotonie narrative. Quant au dessin, il est en total décalage avec l’esprit du récit, en particulier pour ce qui est des personnages, dont on finit par se contrefoutre littéralement. Évoluant dans un décor lugubre, ceux-ci apparaissent figés et fantomatiques dans leurs attitudes, et, qu’ils soient hommes ou femmes, leurs visages sont laids et peu expressifs, ce qui fait qu’on les distingue mal les uns des autres. Bref, rien qui puisse évoquer une sexualité épanouie. Un comble !
A l’évidence, les auteurs semblent ne pas avoir maîtrisé leur sujet en s’éparpillant dans tous les sens, peinant à trouver un équilibre entre la forme et le fond. Si au départ il était question d’un polar érotique, on se retrouve avec un polar pas très sexy qui n’est pas vraiment un polar. A la fin de l’histoire, l’un des protagonistes, dont on aura oublié qui il était exactement, évoque une nuit d’orgie en hommage à Circé : « Et la nuit s’est terminée – beaucoup trop vite – sans que je sache si j’y avais compris quoi que ce soit. » Un peu comme le lecteur quand il referme le livre en fait…
Polaris ou la nuit de Circé
Scénario : Fabien Vehlmann
Dessin : Gwen de Bonneval
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
160 pages – 19,99 €
Parution : 3 octobre 2018
Extrait p.61-62 – Échange entre un vieux couple, membres originaux du Cercle de Circé, et Jeanne Condorcet :
« Je ne dirais pas que les jeux de Circé recherchent systématiquement la transgression… Nous cherchons juste notre plaisir là où les autres ne vont pas. Car l’érotisme est rétif à ce qui est grégaire. Le naturisme n’a rien d’érotique : la nudité n’excite que tant qu’elle n’est pas la norme.
— Et les normes varient selon les époques et les cultures… Je trouve toujours risibles les libertins ostensiblement en lutte contre les « bonnes mœurs » : celles-ci ne sont que les habitudes du moment, il ne faut pas les prendre au sérieux !
— Certains membres du Cercle ont pourtant succombé à ce travers…
— Ah oui : Édouard ! Tous les jeux qu’il inventait étaient fondés sur des représentations pornographiques de la Bible ! Sa réinterprétation d’Adam enculant Eve se voulait « politique »… Tout ça était d’un puéril !
— D’autant que sur son lit de mort, il a avoué avoir fait cela dans le fol espoir d’être « sévèrement puni par Dieu »… Les anticléricaux sont des masochistes refoulés !
— Circé prône certes une forme de « révolution » artistique, mais à une échelle personnelle, intime… Notre goût du secret vient de là.
— Une ligne de conduite qui a permis d’éviter la présence de situationnistes au sein du Cercle… On ne va pas se tirer dessus au fusil pendant le coït non plus !
— Oui, enfin, certains jeux de Niki n’en étaient pas loin, haha !
— Quand on voit le mal que leur « liberté sexuelle » a fait à l’érotisme… Ils n’ont fait qu’ouvrir la porte au consumérisme, oui ! En fait, voilà, notez : l’érotisme que nous défendons cherche une voie médiane entre l’ordre moral du moment et une trop grande permissivité. »
