
RMIste, célibataire et déprimé, Antoine se croit atteint d’une maladie très particulière : l’intelligence. Ne supportant plus le monde dans lequel il vit, Antoine réfléchit beaucoup et en souffre au quotidien, estimant que réfléchir ne sert à rien quand cela ne sert pas un but concret. C’est ainsi qu’il va envisager les solutions les plus radicales pour mettre un terme à ses cogitations : alcoolisme, suicide, trépanation…
Intrigué par le titre, j’ai voulu en savoir plus, apprenant par la même occasion qu’il s’agissait de l’adaptation d’un roman signé de l’écrivain Martin Page, celui-ci étant également cité comme co-auteur de la BD.
Je suis toujours un peu gêné pour noter les adaptations, car même si celles-ci peuvent parfois transcender l’œuvre originale, comment savoir quelle est la frontière entre pompage et inspiration lorsqu’on n’a pas lu l’œuvre originale en question. Mais il se trouve que l’écrivain, Martin Page, est cité ici comme co-auteur à part entière de la BD.
Objectivement, l’histoire se lit plutôt bien et les textes sont excellents. Le récit est drôle, original, empreint d’un humour aigre-doux, où l’auteur sait démontrer qu’il n’est dupe de rien dans un monde où seules les apparences comptent, un monde qui fait de moins en moins la part belle à ceux qui passent leur temps à réfléchir… J’ai bien apprécié la note positive concluant l’histoire alors que, au regard du titre, je m’attendais à quelque chose de très cynique et très désabusé. Or il n’en est rien, l’auteur nous invite juste à « apprendre à s’en foutre » tout en bouffant la vie à pleine dents, sans se transformer pour autant en imbécile heureux. Réflexion et insouciance ne sont pas inconciliables, nous dit Martin Page. Tout est question de dosage… Alors qu’à la fin, Antoine se demande si cette philosophie n’est pas un peu malléable, son interlocuteur, « suicidé manqué » lui aussi, lui répond, avec une sagesse pleine de bon sens : « Bien sûr, sinon à quoi servirait-elle ? »
D’un style minimaliste en noir et blanc, le dessin de Nicola Witko, pouvant évoquer un certain Larcenet, sert parfaitement le propos. En résumé, vous pouvez lire cet album si les livres avec plein de lettres sans images vous rebutent et que votre objectif est de devenir (un peu plus) stupide… (juin 2014)
Comment je suis devenu stupide
Scénario : Martin Page
Dessin : Nikola Witko
Editeur : 6 Pieds Sous Terre
84 pages – 12,50 €
Parution : mars 2004
Δ Adaptation du roman de Martin Page
Extraits :
« Je ne peux pas m’empêcher de tout regarder, tout analyser… et surtout je pense trop. Cela fait des mois que je réfléchis sur ma maladie de trop réfléchir. Je suis RMIste, célibataire et déprimé. Je crois que l’intelligence est une tare, quand elle ne sert pas un but concret. J’ai établi avec certitude la corrélation entre mon malheur et l’incontinence de ma raison. Je veux noyer ma pensée. « Il leur enviait tout ce qu’ils ne savaient pas » disait Oscar Wilde. »
« Je suis dans un monde de merde, mais je suis vivant et je n’ai pas peur »
« Les esprits présomptueux veulent en toute chose une conclusion. Ils cherchent le but de la vie et la dimension de l’infini. Ils prennent dans leur main une poignée de sable et disent à l’océan : « Je vais compter les grains de tes rivages. » Mais comme les grains leur coulent entre les doigts et que le calcul est trop long, ils trépignent et ils pleurent sur la grève, il faut s’agenouiller ou se promener. »
« Vous avez abandonné l’idée du suicide ?
– Pas du tout. Je mange plein de trucs frits, des tonnes de viande. Je bois trop, je fume comme un sapeur, je baise sans protection. A ce rythme là je ne devrais pas faire long feu. Le seul problème c’est que du coup, je commence à apprécier la vie. En fait, ce n’est même pas tellement que je ne veuille plus mourir ou que je veuille vivre… la vérité c’est que je m’en fous. Je crois que j’ai inventé le dilettantisme de l’extrême. Je pense même à monter une école pour apprendre aux gens à s’en foutre, à ne faire que ce qui leur plaît… et encore, pas trop vite… »« C’est un fait, l’intelligence est un raté de l’évolution, probablement inventée par quelques gamins préhistoriques inadaptés et désœuvrés, trop faibles pour chasser ou pour pêcher. Sans eux, l’humanité serait loin des questions existentielles. « Qui accroit sa science accroit sa douleur » dit l’ecclésiaste. »
