
« Être une femme libérée, tu sais c’est pas si facile ». Ulli Lust en sait quelque chose, elle qui voulait expérimenter l’amour libre, entre un homme qu’elle aimait d’affection et un autre qui la comblait sexuellement, sans rien dissimuler à aucun des deux. C’est lorsque la jalousie de l’un fait son entrée que tout se complique, suivie de son cortège d’insultes et de violence physique… Un sujet ô combien d’actualité !
Après lecture de ce roman graphique, on peut l’affirmer : oui, Ulli Lust est une fille bien ! Il faudra peut-être à certains surmonter leur circonspection vis-à-vis d’un graphisme très scolaire et peu engageant, surtout dans les premières pages, et d’un récit qui prend un certain temps à démarrer. Une fois ce cap franchi, les choses finissent par se mettre en place et, alors que le fond s’impose doucement mais sûrement, la forme passe au second plan. On est peu à peu immergé dans ce pavé de plus de 300 pages et on pourra même reconnaître des qualités à un dessin parfois maladroit mais touchant dans sa sincérité voire poétique, en particulier pour les scènes d’amour. Très certainement à l’image de son auteure (non je n’utiliserai pas l’affreux néologisme « autrice » qui fait saigner mes oreilles), chez qui l’on sent une certaine fragilité, doublée d’une volonté de bien faire (tout est dans le titre) et de ne pas négliger les détails.
J’ignore si « Lust » est un pseudo. Si ce n’est pas le cas, cela tendrait à accréditer l’idée qu’un patronyme pèse sur la destinée de celui qui le porte. Car de plaisir sexuel il est beaucoup question dans cette autobiographie honnête et courageuse. Son dessin explicite ne cherche pas à nous faire rincer l’œil, il présente l’acte sexuel comme une chose belle et naturelle. Ulli Lust est une féministe de son temps, qui ne revendique rien mais vit sa vie juste comme elle l’entend, en explorant son désir sexuel sans hypocrisie, sans peur du qu’en-dira-t-on. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça ne plait pas toujours. Non seulement à ses voisins-voisines, que l’hédonisme d’Ulli renvoie à leurs propres frustrations, mais surtout, et là on est au cœur du sujet, à son amant africain Kimata. Au départ dépeint comme un homme gentil, celui-ci va révéler au fur et à mesure sa jalousie maladive jusqu’à son paroxysme de haine et de violence, qui ne laissera pas sa partenaire indemne. Malgré cela, Ulli parvient à éviter l’écueil d’un racisme trop facile, évitant tout jugement de valeur sur la tradition africaine, caractérisée par un paternalisme déroutant pour l’Occidental lambda. L’auteure au contraire se contente d’être factuelle, mettant en lumière les préjugés et la bêtise de Kim (« tu fais partie de ces femmes blanches qui aiment les hommes noirs ? »), malgré ses tentatives pour être tolérant. Cela corrobore d’une certaine façon l’idée que le racisme peut être aussi le fait de ceux qui en sont les premières victimes, a fortiori dans un pays comme l’Autriche – où se déroule l’histoire -, un pays où l’extrême-droite a eu à plusieurs reprises l’accès au pouvoir. D’ailleurs, comme pour éviter la récupération politique, Ulli Lust n’oublie pas de faire allusion à certains comportements machistes et xénophobes dans son pays.
L’auteure autrichienne réussit à traiter de front les thématiques de la violence conjugale et de la différence culturelle en prenant bien soin de faire la part des choses. Parallèlement, Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien aborde aussi la problématique de la fidélité… à soi-même, de l’importance de ne pas se renier dans le cadre du couple. C’est ce qui fait toute la richesse de ce roman très personnel, qu’on apprécie pour sa subtilité et son évitement des clichés, quand bien même il laisse un goût amer. A situation compliquée, il ne saurait y avoir de réponse simple, et Ulli Lust se garde bien d’en fournir…
Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien
Scénario & dessin : Ulli Lust
Editeur : Ça et Là
368 pages bichromie – 26 €
Parution : 14 novembre 2017
Extrait p.182-183 – Discussion entre Ulli et Kim, qui supporte de plus en plus mal la relation d’Ulli avec Georg et le ménage à trois :
Avec Georg, les discussions sur ce thème sensible se terminent très vite. Mais avec Kim, le ton devient grandiloquent. Et moi, je réagis comme je l’ai appris chez Vroni, une jalouse notoire : avec un détachement stoïque.
« Je ne peux rien contre ça ! C’est dans mon sang ! »
On se ressert à chaque fois le même dialogue. Extrait :
« Je suis un homme dans la fleur de l’âge ! J’ai besoin d’une femme pour moi tout seul.
— Je te comprends, chéri. Mais je ne peux pas t’aider.
— Tu ne m’aimes pas !
— Si ! Tu savais depuis le début où tu mettais les pieds ! Alors ne viens pas te plaindre maintenant !
— Tu veux juste mon corps ! »J’ai l’impression de vivre dans un soap-opera.
« Tu ne m’aimes pas ! Y a que le sexe qui t’intéresse avec moi !
— Ne dis pas de mal du sexe ! ça je ne l’accepte pas ! Le sexe, c’est bon et sain ! C’est magique, le sexe ! Si je suis tombée amoureuse de toi, c’est parce que j’adore coucher avec toi !
— Tu avoues ?!
— Baiser juste avec un corps, je ne peux pas. Bien sûr que je t’aime !
— Je te crois ! »Et puis tout recommence depuis le début…
« Mais tu aimes aussi Georg, tu aimes Philipp, même ton art, tu l’aimes plus que moi ! Je ne veux pas trente pour cent, ni cinquante, je veux cent pour cent ! Je vais chercher une femme qui dorme tous les jours chez moi ! »
