
Gérard de Nerval, écrivain et poète s’inscrivant dans le mouvement romantique du XIXe siècle, ne peut se résumer en quelques lignes. Plus connu pour sa traduction du Faust de Goethe et son Voyage en Orient, il présentait plusieurs visages qui en faisaient un personnage difficile à cerner pour les biographes. Amoureux éperdu et déçu, sujet à la folie et aux hallucinations, il connut une fin tragique. Les auteurs en ont dressé un portrait aussi déroutant que fascinant.
Très réussie, la couverture résume assez bien à elle seule le personnage de Nerval et la fantaisie de l’album. La BD historique ou biographique recourant plus souvent à un style de dessin académique (généralement très réaliste), il est toujours agréable de découvrir une œuvre sortant des canons habituels, et c’est complètement le cas ici. On pense plus aux Pieds Nickelés voire à certains moments aux caricatures de Daumier (contemporain de Nerval, né également en 1808 !), et d’emblée, on peut être déconcerté par le décalage entre le graphisme « cartoon » et le personnage évoqué : un auteur du mouvement romantique du XIXe, sujet au spleen et qui ne prêtait guère au burlesque. Et contre toute attente, on finit pas adhérer très vite. On découvre que Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval, était un être fantasque, nerveux, toujours « intranquille » et aux abois, ce qui colle assez bien au trait enlevé et imprécis. Et que finalement, son côté lunaire en fait un parfait personnage de BD…
La narration bénéficie d’un rythme enlevé. Les scènes sans paroles, souvent oniriques, constituent des respirations poétiques bienvenues alternant avec les passages textuels plus ordinaires. Chaque scène est introduite par des citations ou extraits épistolaires de Nerval ou de ses proches (son grand ami Théophile Gautier principalement). On suit donc avec intérêt la biographie de cet auteur, certes méconnu, mais qui se révèle attachant dans ses tourments existentiels – accrus par une grosse déception amoureuse avec la chanteuse Jenny Colon – auxquels il ne semblait y avoir aucun remède, aucune consolation… sauf peut-être celle, pour le moins étrange, de se suspendre par le cou aux poignées de porte afin d’atteindre l’ivresse sexuelle.
Nerval l’inconsolé dégage un charme certain, avec une restitution historique crédible malgré la fantaisie qui parcourt l’histoire. Le lecteur ne peut qu’être séduit devant la magnifique évocation des voyages en Méditerranée de notre Gérard. Daniel Casanave semble décidément à l’aise dans les biographies de romanciers (Flaubert, Baudelaire, Verlaine…) ou adaptations de leurs œuvres (Shakespeare, Alfred Jarry). Ce n’est pas la première fois qu’il travaille avec le scénariste David Vandermeulen (Shelley, Chamisso (L’Homme qui a perdu son ombre)), et au vu de ce bel ouvrage, on ne peut qu’espérer une longue et fructueuse collaboration. Un des meilleurs albums de l’année sans aucun doute.
Nerval l’inconsolé
Scénario : David Vandermeulen
Dessin : Daniel Casanave
Editeur : Casterman
160 pages – 22,50 €
Parution : 6 septembre 2017
Extrait p.102 : Lettre de Gérard de Nerval à son ami Théophile Gautier. Le poète vient de séjourner à Vienne et doit rentrer à Paris, ruiné :
« Mon cher Théo,
Toutes les bonnes choses ont une fin, je rentre à Paris. Je pense que je n’ai pas très bien géré ma trésorerie. J’ai peut-être mené ici trop grand train. Quoi qu’il en soit, me voici contraint de rentrer de Vienne à pied. Lorsqu’il ne pleut pas, l’aventure reste encore assez agréable.
Je t’embrasse.
Ton Gérard. »