Jolie peinture d’un Québec d’autrefois

Magasin Général © 2006-2014 Jean-Louis Tripp/Régis Loisel (Casterman)

Une charmante évocation de la vie d’un petit village québécois dans l’entre-deux-guerres à travers Marie, une jeune femme serviable au beau regard triste, depuis peu veuve de l’épicier. A la mort de son époux, Marie a décidé de maintenir coûte que coûte le magasin, seul commerce du village. Mais l’arrivée d’un inconnu à l’accent parisien va quelque peu perturber sa vie et celle du village.

Cette fresque villageoise est absolument épatante, tant par la beauté du dessin et des couleurs que par la drôlerie et la sensibilité des différents protagonistes, qui semblent littéralement sortir des cases tant ils sonnent vrais. On sent que les personnages, qui ont chacun une personnalité bien marquée, ont fait l’objet d’une étude fouillée. Le parler québecois ajoute un côté truculent aux situations souvent drôles. On est parfois saisi de fou-rire mais on pleure aussi avec Marie, à fleur de peau et toute en pudeur. Le dessin est vraiment réussi et certaines cases sont de véritables petits tableaux, les scènes champêtres y sont dépeintes avec subtilité et poésie. D’autres sont purement éblouissantes (la soirée du réveillon de Noël préparée par Serge), j’ai lâché des « oooh » d’émerveillement tel un gosse devant le sapin… C’est vivant, vibrant, chatoyant, chaleureux, cocasse, sensible, émouvant…

Amateurs d’aventures avec un grand A, passez votre chemin. Ici, pas de conquête de grands espaces et de monstres menaçants (même si nous sommes dans le Grand Nord canadien), c’est juste la vie dans un village à une époque comme il en existe partout avec toutes ses composantes humaines. En fait, il s’agit plus d’une conquête de la vie et de ses plaisirs (de la chair et de la bonne chère !) face à la culpabilité, aux préjugés et aux ragots. C’est aussi l’histoire d’un homme-fée (Serge) qui va traverser ce village en s’efforçant de redonner vie à une fleur fanée trop vite, Marie, et en accrochant des étoiles dans les yeux et l’âme des villageois présents, femmes, enfants et vieux, les hommes étant partis bivouaquer pour quelques semaines. Une sorte de Bagdad Café en BD.

Mon seul et unique bémol concerne la présence de ces phylactères quelque peu envahissants qui parasitent parfois le plaisir qu’on a à admirer les dessins. Il me semble que dans une BD, une bulle doit être élégante et savoir se faire oublier. Celles-ci sont trop stylées, trop pointues, trop nerveuses, et ne vont pas avec le style du dessin. Si cela fonctionnait dans Peter Pan et La Quête de l’Oiseau du temps, c’est devenu presque gênant ici, un peu comme un gravier dans une chaussure. De même, la présence récurrente des petits animaux (le chiot, le chaton et le caneton) a aussi un côté agaçant, limite mièvre – surtout au tome 7 avec l’apparition de l’ourson. J’ai par ailleurs cru déceler un certain essoufflement scénaristique dans ce même tome 7.

Cela étant, cette association des deux dessinateurs Tripp et Loisel est néanmoins tout à fait concluante globalement. Ils ont su mettre leur ego de côté, et produire quelque chose de graphiquement époustouflant (hormis les bulles). Je ne connais pas d’autres exemples en BD mais il me semble que la démarche est innovante et intéressante, et gagnerait à se généraliser étant donné le résultat ici présent où la synergie des deux dessinateurs soutenue par le travail du scénariste a fonctionné à plein ! [janvier 2012]

Magasin Général (série en 9 tomes)
Scénario & dessin : Jean-Louis Tripp/Régis Loisel
Editeur : Casterman
Vente par volume (9), en 4 intégrales (2/3 tomes), ou en 1 coffret
Parution : de 2006 à 2014

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