
Dans cette New York Trilogie compilée par Delcourt, Will Eisner évoque avec facétie la vie quotidienne new yorkaise dans les années 30, que ce soit sous forme d’historiettes ou de nouvelles. New Yorkais dans l’âme et fin observateur, l’auteur décrit le plus souvent les quartiers déshérités de Big Apple, où l’on comprend que si la vie n’était pas rose tous les jours à cette époque, elle était plus animée, plus turbulente aussi. On sent bien que l’auteur a beaucoup écumé les trottoirs de la mégalopole, et qu’il l’aime autant qu’il peut la détester, avec son bouillonnement, son exubérance mais aussi ses injustices et ses drames de la pauvreté. Cela n’empêche pas cette trilogie d’être un régal d’humour, et si Will Eisner choisit le mode tragi-comique, c’est aussi pour mieux critiquer une société urbaine féroce, où l’anonymat, s’il est accepté voire bienvenu, peut se révéler brutal et dévastateur dès lors que le citoyen est hors-circuit.
Le trait est vif et précis, et les mouvements bien sentis, on a parfois l’impression de regarder un dessin animé. Les personnages ont des dégaines se prêtant au burlesque. La poésie n’est pas en reste et évoque parfois celle de Sempé, autre croqueur de scènes urbaines. Quant à la mise en page, elle est très peu conventionnelle et souvent surprenante. L’auteur recourt très peu au découpage en cases et n’hésite pas à superposer décors et personnages sans que cela ne gêne en rien la lecture, contrairement à quelques petites incohérences relevées ici et là mais nullement gênantes lorsqu’on prend l’œuvre dans son ensemble. Il y a incontestablement un style Eisner, qui est d’aller à l’essentiel avec précision, sans s’encombrer de détails inutiles. L’absence de couleur n’est à cet égard nullement gênante.
Will Eisner, c’est un peu l’anti-Disney, même si les signatures des deux hommes se ressemblent étrangement et que les noms comportent beaucoup de lettres en commun. Contrairement à Disney qui ne cherche qu’à divertir son public, Eisner n’hésite pas à intégrer dans ses gags la dimension tragique d’une société extrêmement inégalitaire que sont les Etats-Unis. Certes, c’est moins vendeur pour ceux qui préfèrent croire en l’existence des royaumes magiques, mais la réalité n’est jamais niée ou transformée, et la valeur testimoniale sur la ville et l’époque n’en est que plus forte. Will Eisner, c’est aussi le contrepoids à l’empire Marvel et ses super-héros qui ont longtemps squatté longtemps la bédé US. (novembre 2012)
New York Trilogie (La Ville, l’Immeuble, les Gens)
Scénario & dessin : Will Eisner
Editeur : Delcourt
410 pages
Parution : 04 mai 2011