
Une épopée vivante, palpitante et poignante de la Commune à travers les destins liés de deux hommes, l’un issu de la classe dominante (Horace Grondin), l’autre de la classe des exploités (Tarpagnan). Dans un Paris en proie au soulèvement des masses affamées et miséreuses, Grondin, ex-bagnard, est à la recherche du capitaine Tarpagnan, son ancien valet de ferme, qu’il accuse d’avoir assassiné sa fille adoptive et son bébé de la manière la plus odieuse.
Qui d’autre que Jacques Tardi aurait pu mettre en image ce qui est à la base un roman historique de Jean Vautrin relatant les événements parisiens durant la Commune ? Cette histoire se vit comme un quasi-documentaire sur le Paris de 1871 et l’esprit de révolte qui y régnait, comme si on y était. Et comme d’habitude chez Tardi, les dessins des bâtiments et des monuments de l’époque sont superbement représentés. L’auteur étant un amoureux inconditionnel de Paname , il parvient ici à faire revivre cette page de l’Histoire injustement oubliée, avec également toute une galerie de personnages tous plus pittoresques les uns que les autres. Le noir et blanc est ici plus qu’approprié pour rendre le côté sombre de l’époque.
Le scénario de Vautrin est plutôt bien ficelé, sachant trouver le bon équilibre entre documentaire et polar. Certains trouveront peut-être cela trop touffu mais les amateurs d’Histoire et de littérature y trouveront leur compte. Quant aux personnages, malgré l’inexpressivité de leur visage (ce n’est pas le fort de Tardi et pourtant j’apprécie son dessin), Grondin reste le plus intéressant. Au départ appartenant au camp des notables et exploiteurs, il finira peu à peu par comprendre et soutenir cette révolution des gueux que fut la Commune. Compréhension facilitée par son séjour au bagne mais pas totalement désintéressée : en effet, en adoptant les idéaux de la Commune, il espère se fondre dans la masse afin de faire oublier son look de notable, et ainsi assouvir son désir de vengeance en pistant Tarpagnan, ex-capitaine de l’Armée ayant rejoint la Commune. Les dialogues semblent crédibles, faits en bonne partie de gouaille parisienne qui rappellera à beaucoup le maître dialoguiste Audiard.
Je ne connais pas d’ouvrage historique pouvant relater aussi fidèlement par l’image les faits, l’ambiance et l’esprit de cette époque tragique. C’est une véritable plongée dans les bas-fonds les plus glauques du Paname d’antan, où la misère était noire et la colère âpre. En effet, on réalise que la révolte du peuple était aussi virulente que le mépris de la classe dirigeante était odieux – et encore plus cruelle par sa réaction disproportionnée face aux errements de la Commune, selon les mots de Caf’Conc’ : « Dans les quartiers reconquis par Versailles, j’ai vu des hommes, semblables à ceux qu’on peut voir le Dimanche à la sortie de la messe, des hommes respectables et attentifs à leur épouse et à leurs enfants, enfoncer des goulots de bouteilles dans les bouches des cadavres et les vagins des mortes, émasculer des enfants, casser les nez à coup de pied, crever les yeux, éventrer les corps et faire du bout de leur cannes à pommeau d’argent, des guirlandes de boyaux encore chauds. »
Et au final, le peuple paiera chèrement cette parenthèse enchantée lorsque les canons de Mac Mahon reprendront le contrôle de la capitale. Au final, la « Semaine sanglante » représentera le plus important massacre de masse de l’Etat français, à l’époque dirigé par Thiers (« Foutriquet ») contre ses citoyens, avec 30.000 morts. Les deux auteurs ont mis tout leur cœur pour réhabiliter cette période de notre Histoire pas si lointaine (près de 150 ans), et le résultat est à la hauteur. Le Cri du peuple, une formidable épopée, mêlant avec brio documentaire et romanesque, une œuvre que chaque citoyen se doit de connaître. (décembre 2010)
Le Cri du peuple (Intégrale 4 tomes)
D’après le roman de Jean Vautrin
Scénario et dessin : Jacques Tardi
Editeur : Casterman
312 pages – 55 €
Parution : 03 décembre 2011
Parution pour les 4 tomes : De 2001 à 2004
Δ Adaptation du roman du même nom de Jean Vautrin (1998)
♦ Angoulême 2002 : Alph-Art du meilleur dessin
♦ Angoulême 2002 : Alph-Art public du meilleur album