
Paris, 7 janvier 2015. Des fous de dieu assassinent lâchement plusieurs membres de Charlie Hebdo, dont Charb, Cabu, Wolinsky, Tignous, Honoré et Bernard Maris. Bilan : 12 morts et 11 blessés. Luz aurait dû faire partie des victimes s’il était arrivé à l’heure à la conférence hebdomadaire de rédaction. Pourtant, il n’a pas échappé au « traumatisme du survivant ». Pour tenter de canaliser son angoisse, il fallait qu’il retrouve l’envie de dessiner. Selon ses propres termes, ce livre ne se veut ni une bédé ni un témoignage, mais « l’histoire de retrouvailles entre deux amis [le dessin, ndr] qui ont failli un jour ne plus jamais se croiser ».
Un peu par hasard, j’ai lu cette BD une semaine après les récents attentats du 13 novembre. Ce qui ajoutait une dimension supplémentaire à ma lecture dans la mesure où la sidération était revenue, la même quasiment que celle que j’avais ressenti en début d’année. Et si l’on peine à réaliser l’impensable, comment alors rire avec l’impensable ? Comme tous ses amis de Charlie Hebdo, Luz était convaincu qu’on pouvait rire de tout. Il était donc logique, après avoir retrouvé son « ami » (le dessin), qu’il réalise cet ouvrage, à défaut de réaliser ce qui lui tombait sur le nez. Mais cette fois, le rire a jauni et perdu quelques éclats dans cette immonde tuerie. Minimaliste comme toujours, son dessin est devenu à la fois plus fragile et plus rageur, et s’il a conservé sa causticité, il semble néanmoins amputé de l’hilarante bonhommie qui le caractérisait. Comment pourrait-il en être autrement ?
Catharsis commence par cette même sidération, celle de cent paires d’yeux exorbités devant l’atrocité, réponse en dessin de Luz au question du flic, la seule dont il était capable au lendemain de la tuerie. Puis se poursuit dans un humour très noir, avec un clin d’œil aux Idées noires de Franquin, ce qui en dit long sur l’état psychologique de l’ami Luz. Mais ce dernier prouve que l’humour reste un excellent exutoire, lorsqu’il décide de baptiser « Ginette » sa boule au ventre, cette excroissance comme une entité autonome et indomptable faisant de lui une sorte de mutant. Et puis il y a aussi ces deux silhouettes noires de djihadistes déboulant au coin de la rue en tirant des salves de kalach, puis enchaînant une sorte de danse macabre qui viendra nous hanter jusqu’à la fin de l’ouvrage. C’est souvent désespéré avec toutefois de beaux moments d’émotion et de poésie, ainsi qu’une petite note d’espoir en conclusion. Des pages réalisées dans l’urgence qu’on pourrait qualifier d’acte de survie d’un dessinateur satirique ayant échappé à la folie religieuse en ce début de XXIe siècle.
Catharsis
Scénario & dessin : Luz
Editeur : Futuropolis
128 pages – 14,50 €
Parution : 21 mai 2015
Prix France Info 2016