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Et si la désobéissance civile n’était pas juste un truc de bisounours, mais la forme la plus moderne de contestation ? Cette excellente série populaire tente de nous montrer que ce mode d’action sans violence — et pourtant redouté du pouvoir — est non seulement le plus rassembleur, mais peut-être aussi le plus porteur.
Dans l’ombre du Château, le taureau Silvio et ses chiens écrasent les animaux sous le joug de la terreur. Révoltes sanglantes, espoirs brisés… jusqu’à l’arrivée d’Azélar, un vieux rat porteur d’une idée folle : une révolution sans violence. Les « Marguerites », menées par Miss B et ses alliés, osent défier l’oppression par la résistance pacifique. Mais Silvio, impitoyable, répond par la torture et la trahison.
Dix ans après le premier tome, Le Château des animaux arrive donc à son terme avec Le Sang du roi. Cette série aura réussi à s’imposer comme un best-seller et on ne peut que s’en réjouir, dans un contexte politique international où l’autoritarisme faire un retour en force dans beaucoup de pays, à commencer par les Etats-Unis.
Comme on le sait, cette BD est une revisite de La Ferme des animaux, le roman le plus connu de George Orwell après 1984, et son thème même, à savoir la résistance citoyenne face à un régime autocratique et répressif, est à contre-courant de la tendance actuelle. Cette tendance, souvent alimentée par les médias détenus pour la plupart par des milliardaires puissants, permet aux partisans d’« hommes forts » ou d’illusoires « sauveurs », de clamer sur tous les toits (ou les réseaux sociaux) leur dégoût d’une prétendue « décadence » diligentée par les « wokistes », un terme utilisé à l’envi pour disqualifier tous celles et ceux qui prônent la tolérance et le respect de la diversité, celles et ceux qui en somme croient encore à l’idée de progrès.

A travers le personnage de Silvio, le taureau dictateur régnant sur les animaux du Château, le récit explore le mécanisme de contrôle du pouvoir par un seul, avec comme puissant levier la propagande démagogique dirigée vers les esprits faibles et consentants. La délicate chatte blanche Miss B symbolise quant à elle la prise de conscience face à un pouvoir abusif, première étape d’une révolution visant à renverser un régime dont le seul but est de se maintenir en place par tous les moyens, y compris la terreur et la désignation de boucs émissaires. Et cette révolution, elle entend bien la mener de façon pacifique — bien consciente que la violence ne fait que reproduire la violence —, en sensibilisant la basse-cour de l’importance d’être unis. Ce mode d’action renvoie aux théories de Henry-David Thoreau sur la désobéissance civile dont s’est inspiré notamment Gandhi, lesquelles restent assurément d’une grande actualité. De même, via la marguerite devenue symbole de la révolte de ce peuple d’animaux, on appréciera la référence à la révolution portugaise des années 70, la Révolution des Œillets.
Si le scénario du Sang du roi est sans véritable surprise, il est bien construit et tout à fait dans la lignée de ses « grands frères ». Les personnages restent attachants, en partie grâce au dessin expressif de Delep, qui possède une bonne maîtrise du mouvement et du cadrage.
Avec cette œuvre qui aura marqué la bande dessinée, Dorison et Delep prouvent que l’on peut allier le divertissement populaire à la politique, n’en déplaise à ceux qui prétendent que celle-ci ne doit pas interférer avec la culture. Et ça fonctionne parfaitement, car les auteurs ont trouvé ici le ton juste, privilégiant le registre de la fable universelle plutôt que de se référer à l’époque actuelle, même s’il faut bien l’avouer, ce taureau cruel évoque immanquablement un certain Donald J. Trump… en tout cas pour certains à l’esprit mal placé comme moi !
Le Château des animaux, tome 4 : Le Sang du roi
Scénario : Xavier Dorison
Dessin : Félix Delep
Editeur : Casterman
96 pages – 19,95 € (version numérique : 13,99 €)
Parution : 12 novembre 2025
Extrait du numéro spécial de La Gazette du Château : « Des actions qui changent la donne… »
Qu’est-ce qu’ont en commun Gandhi avec sa marche du sel, un électricien polonais moustachu et un jeune élu à l’assemblée générale de Belgrade ? Aucun d’eux n’ hésité à braver un réel danger, en choisissant une approche de déstabilisation.
Gandhi a symboliquement enfreint la loi britannique en voulant collecter du sel, alors interdit aux Indiens. En plein cœur du bloc soviétique, Lech Walesa, avec Solidarnosc, a défié le gouvernement en organisant un syndicat libre. En Serbie, Srdja Popovic, avec le mouvement Otpor, a progressivement entamé un travail de sape du régime de Milosevic et l’a fait tomber. Citoyens contre politiques, désordres organisés, etc., les bilans de ces actions, nées d’un même principe d’opposition non violente, ont eu des issues plus que positives — même si Gandhi a fini assassiné. Srdja Popovic l’a lui-même résumé ainsi, dans un livre au titre éloquent, « Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes ».



Je vais mettre les quatre tomes sur une prochaine liste d’envies !
De paisibles et souriantes fêtes à toi, laurent.
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