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Si Disney & Co aime le mignon et veut que tout soit mignon, quitte à mettre du rose sur nos peurs enfantines, Lou Lubie quant à elle vient rétablir la noire vérité à propos des contes, pour notre plus grande horreur ! Mais bon sang, qu’est-ce que c’est bon…
Tous les contes de fées ne se terminent pas aussi bien qu’on pourrait le penser. Saviez-vous que Cendrillon n’était pas la jeune fille innocente maltraitée par sa belle-mère et ses sœurs à laquelle Disney a bien voulu nous faire croire, mais une meurtrière ! Qui plus est, le conte aurait des origines chinoises ! Lou Lubie nous livre ici une analyse à la fois fouillée et jubilatoire pour découvrir l’envers de ces contes qui ont tant enchanté notre imaginaire enfantin.
L’ouvrage débute ainsi : « Spoiler alert : dans les contes originaux, aucun ne se termine par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Aucun prince ne s’appelle « prince charmant » et d’ailleurs, certains sont carrément craignos. » Comment ça ? On nous aurait menti ?
Que nenni, on ne nous a pas menti, on nous nous l’a simplement fait à l’envers au fil du temps ! C’est ce que nous démontre avec brio Lou Lubie dans cette BD par ailleurs très rigolote. La jeune autrice va notamment s’employer à démonter « les archétypes de Disney » qui d’une certaine manière ont déformé (et américanisé) le propos des contes que l’on connaît. La plupart ont des origines européennes (Grimm et Perrault, ou encore Basile) mais… si l’on remonte le temps, trouveraient leur source en Chine ou en Inde, par exemple avec Cendrillon, qui a traversé 1.200 ans pour nous parvenir de l’Empire du milieu. Cela étant, nombre de contes ont été transmis oralement depuis la nuit des temps (avec souvent plusieurs versions selon leur région d’origine), pour être ensuite figés sous une forme écrite définitive, perdant sans doute au passage un peu de leur authenticité.

Mais quand Lou Lubie tacle Walt Disney et les versions édulcorantes de ses dessins animés, ce n’est pas juste pour faire genre. Nombre de contes traditionnels comportent leur lot de meurtres, de sang et d’inceste, ne sont guère romantiques mais parallèlement moins sexistes. A sa décharge toutefois, Disney avait trouvé le moyen de les remettre au goût du jour par le support animé. Problème : il les a vidés de leur contenu en leur associant un propos quelque peu mièvre, en particulier Blanche neige et les sept nains, Cendrillon et La Belle au bois dormant. Les derniers films des studios Disney, qui ont survécu à la mort de leur créateur, intègrent cependant une approche plus féministe, sans toutefois revenir vers la nature authentique du conte.
Au fil des pages, l’autrice va ausculter les contes sous tous ses aspects (psychanalytique, sociologique, sexuel, religieux…) et nous rafraîchir la mémoire en livrant pour certains la « vraie » version (écrite ou orale) d’histoires passées à la moulinette hollywoodienne. Bref, c’est très complet, bien documenté et plutôt passionnant, avec un humour décalé qui fait mouche et empêche de tomber dans le sérieux, même si le sujet est sérieux ! Le dessin minimaliste et vif de Lou Lubie donne beaucoup de punch à cet essai bien structuré et très réussi.
Et à la fin, ils meurent, bien loin d’être une charge ironique contre les contes, s’avère davantage un hommage sincère et respectueux, malgré les procès qui leur sont intentés à l’aune des évolutions sociétales et de la rationalité de notre époque, qu’il s’agisse des versions disneyennes ou non. Lou Lubie nous le rappelle, « les contes sont partout ! » : à travers le cinéma, la mode, les romans, les séries, les jouets et bien sûr… la BD. Et de citer le psychanalyste Bruno Bettelheim, qui affirme que « les contes de fées préparent inconsciemment l’enfant au monde qui l’attend ». Pour l’autrice, ils « sont bien plus que des histoires naïves pour enfants », mais « notre patrimoine littéraire, notre héritage culturel, les origines de notre imaginaire. » Message transmis.
Et à la fin, ils meurent – La Sale Vérité sur les contes de fées
Scénario & dessin : Lou Lubie
Editeur : Delcourt
248 pages – 24,95 € (version numérique : 16,99 €)
Parution : 3 novembre 2021
Extrait p.25-28 — Les origines du conte :
Cendrillon a traversé 1 200 ans pour nous parvenir de Chine. Les contes sont donc très anciens, mais à quel point ?
Il y a 400 000 ans, l’Homo erectus domestique le feu. En même temps, il invente le concept de soirée.
Il y a 30 000 ans, l’Homo sapiens est capable d’imagination. Il invente des fictions et des mythes.
C’est probablement pendant la préhistoire qu’un de nos ancêtres raconte le premier conte de l’humanité !
A partir de cette première graine, les contes se répandent dans toutes les civilisations. Traditionnellement, on les relate au coin du feu, pendant qu’on finit ses dernières tâches de la journée — vannerie, tri des grains… Les personnages ressemblent à leur auditoire : des adultes, issus du peuple, braves paysans et chasseurs intrépides.
On est alors bien loin des princes clinquants.
L’oralité aurait-elle pu tuer les contes ? Après tout, il suffit d’une mémoire défaillante ou d’une réinterprétation pour altérer, voire oublier un conte… Au contraire, la parole humaine leur a fait traverser les millénaires !
Transmis de génération en génération, certains contes se sont inscrits dans l’identité locale… et quand des voyageurs ou des migrants les ont emportés ailleurs, ils se sont ajustés à leur nouvel environnement.
Ainsi, le conte de la Barbe bleue, rendu célèbre par Perrault, existait bien avant et surtout bien ailleurs sur le globe.
En France, c’est un gentilhomme avec une barbe bleue1. En Russie, c’est un ours2. En Inde, c’est un tigre déguisé en brahmane3.
En fait, la démarche des auteurs de contes les plus célèbres — Perrault et les frères Grimm — serait presque contraire à la nature des contes : ils recueillent des récits de sources orales pour les figer sous une forme définitive.
Ces retranscriptions entraînent des changements majeurs :
– Le langage devient beaucoup plus sophistiqué.
– Les héros sont plus jeunes et appartiennent à la bonne société.
– Ça crée l’impression qu’il existe une « vraie » version du conte.Mais ces contes figés ont aussi un pouvoir : celui de traverser le temps. Le plus vieux conte connu date d’il y a… plus de trois mille ans ! Ecrit par quatre scribes égyptiens, Le Conte des deux frères nous est parvenu grâce à un papyrus miraculé.
1. « La Barbe bleue », PERRAULT, Charles, in « Histoires ou contes du temps passé, avec des moralités — Les Contes de ma mère l’Oye », 1697.
2. « Les Fiancées de l’ours », traduites du tchèque par KAREL, Jean in « Contes russes », Gründ, 1975, pp.165-170.
3. « La Fille du brahmane qui épousa un tigre », KINGSCOTE, Howard et SÁSTRÎ, Pandit Natêsá, 1890.



