Une horreur centenaire

Das Feuer © 2018 Patrick Pécherot et Joe G. Pinelli (Casterman)

Publié à l’occasion des commémorations de l’armistice de 1918, qui mit fin à la guerre la plus meurtrière que le monde ait connue, Das Feuer est l’adaptation en bande dessinée d’un roman d’Henri Barbusse, Le Feu, dans lequel l’écrivain évoque son expérience des tranchées. Un livre qui lui avait valu le Prix Goncourt en 1916. La bonne idée des auteurs, c’est d’avoir transposé l’action et le point de vue dans le camp « ennemi », d’où le titre en allemand.

« Ce serait un crime de montrer les beaux cotés de la guerre, même s’il y en avait. » disait Henri Barbusse. Pour le coup, on peut dire que les auteurs ont appliqué cette formule à la lettre. Et si le témoignage du romancier est terrible, le dessin de Joe Pinelli est d’une âpreté parfaitement concordante. Pratiquement à l’état d’esquisse, le trait sale et poisseux peut facilement révulser. Le ciel, la terre, les corps et les rares éléments du paysage (tronc d’arbres, barbelés…) ne se distinguent quasiment plus les uns des autres, le tout étant noyé sous une boue graphique grisâtre que la pluie incessante vient strier implacablement de ses dards glaçants. Même le sang est devenu incolore.

Au milieu de cette boue, deux camps qui s’affrontent : les Français et les Allemands. Alors que le roman original est vu sous l’angle du camp français, Patrick Pécherot a choisi d’inverser la perspective. Un parti pris pertinent – et qui fait tout l’intérêt du projet – pour montrer que cette guerre était vécue exactement de la même façon des deux côtés des tranchées. Ici, les soldats ont les mêmes visages émaciés et affolés que ne pouvaient l’avoir leurs adversaires. Comme leurs voisins « Franzosen », ils étaient des « grains de poussière roulés dans la grande plaine de la guerre. ». Comme eux, ils venaient de partout, de toutes les classes laborieuses et n’avaient d’autres choix que de participer à cette guerre, dont ils pensaient pareillement qu’elle serait de courte durée, loin de se douter que cette « promenade de santé » se transformerait en boucherie dévastatrice. Car il est vrai que l’on connaît peu de récits du point de vue allemand de ce côté-ci du Rhin. Longtemps après la guerre, l’Allemand était resté le Boche, le Fritz, le fridolin fauteur de troubles qui devait payer…

Si l’on exclut les textes de Henri Barbusse, ce pacifiste de la première heure, l’ouvrage n’est pas forcément engageant dans la forme, mais évoque bien le cauchemar que pouvait constituer cet horrible conflit pour ceux qui l’ont vécu. La référence en la matière demeurant à ce jour le chef d’œuvre de Jacques Tardi, C’était la guerre des tranchées.

Das Feuer
Scénario : Patrick Pécherot et Joe Pinelli
Dessin : Joe Pinelli
Editeur : Casterman
208 pages – 22 €
Parution : 14 novembre 2018

Δ Adaptation du roman Le Feu, d’Henri Barbusse

Extrait p.26-28 :

 

« Un mètre cinquante de longueur sur soixante-dix centimètres de largeur et sur quatre-vingt centimètres de profondeur. Chaque homme doit creuser ça. C’est la consigne. C’est précis, calculé, sorti du manuel, chaque homme, longueur, largeur, profondeur. Les dimensions d’une tombe peu s’en faut. Chacun dans son trou. Dans la terre gorgée de la pluie qui verse, de la flotte que le sol refoule. Chacun son trou. »

Das Feuer © 2018 Patrick Pécherot et Joe G. Pinelli (Casterman)

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