
La Tête dans les nuages parle de l’âge où tous les espoirs sont permis, mais aussi où l’insouciance cède la place aux préoccupations plus matérielles et parfois anxiogènes. Ces chroniques mettent en scène un groupe de jeunes gens d’une école d’art qui viennent de décrocher leur diplôme et se trouvent désormais confrontés à des choix décisifs pour leurs vies futures.
ntre badinage amoureux et discussions existentielles autour de l’art, on suit les pérégrinations de Seth Fallon et sa bande de potes. Contrairement à sa petite amie Allison qui cherche à étoffer son réseau pour pouvoir vivre de son art, Seth refuse toute compromission et attend l’inspiration dans son armure de cynisme. Problème : l’inspiration ne vient pas, le jeune homme est dans la galère et va devoir trouver un petit boulot pour assurer le quotidien. Jusqu’à cette rencontre inopinée avec son peintre favori, John Pollard, qui va tout bousculer…
Dans un style semi-réaliste proche de la BD U.S alternative, Joseph Remnant, auteur américain installé à Los Angeles, nous livre une histoire sans prétention qui semble inspirée de sa propre expérience. Il est vrai que cela sonne tout à fait juste et que les protagonistes donnent l’impression d’exister réellement. Par son dessin fin et élégant, Remnant sait très bien restituer l’expressivité des visages et fait preuve d’un certain sens du détail. Pas en reste, la narration est fluide et l’auteur n’oublie pas au passage de distribuer quelques petits coups de canifs réjouissants à un certain snobisme caractéristique du milieu de l’art dans ce qu’il a de plus vain. Un auteur sincère et attachant qu’on a envie de suivre.
La Tête dans les nuages
Scénario et dessin : Joseph Remnant
Editeur : Delcourt
160 pages – 18,95 €
Parution : 12 septembre 2018
Extrait p.138 – rencontre imprévue dans un bar entre Seth Fallon et son inspirateur, John Pollard :
« T’as quel âge, gamin ?
— Vingt-trois ans.
— Bon. Commence déjà par arrêter de raconter à n’importe qui que tu es un artiste, tu passes pour un con. Nul ne devrait se prétendre artiste avant d’avoir atteint trente-cinq ans.
— Ah, OK. Et Mozart ? Il avait peut-être huit ans quand il a écrit sa première symphonie. C’était un artiste, non ?
— Crois-moi, t’es pas Mozart. Sache que nous vivons dans une société fondée sur l’économie du divertissement. Et le monde devient chaque année plus divertissant. La donne a changé. Et maintenant que notre espérance de vie a doublé, nous sommes persuadés d’avoir tout le temps pour devenir bons, pour réaliser nos rêves. Mais c’est un leurre.
— Ouais. Vous n’étiez pas censé être à un gros vernissage au CCAC, ce soir ?
— Je vais rarement à ce genre de trucs, surtout quand les Cavs jouent.
— Mais quand même, une rétrospective qui vous est dédiée. Vous devez être honoré.
— Oui, je suis touché par la reconnaissance de fans, comme toi. Mais la plupart des acteurs du « monde de l’art » sont absolument insupportables. C’est même les dernières personnes que j’ai envie de voir. Et il n’y a pas pire pour un artiste que d’avoir tous ces lèches-boules pour te flatter l’égo et te répéter combien tu es génial. A partir du moment où tu te laisses endormir, c’est terminé. C’est souvent arrivé. J’en connais que ça a tués. C’est pour ça que je traîne ici. Je ne pensais pas que des amateurs d’art ou des courtisans mettraient un pied dans cet établissement. »
