
Sur une planète aride, un homme se réveille au sommet d’un volcan, amnésique et seul. A l’exception d’un robot aux allures de gorille. Ce dernier va lui apprendre qu’il s’appelle Verloc et lui rafraîchir la mémoire à l’aide de son carnet de bord commencé sept jours plus tôt. Verloc va progressivement découvrir les raisons de sa présence dans ce monde inhospitalier et dépeuplé…
C’est avec plaisir que j’ai retrouvé l’univers unique de cet auteur que j’avais découvert avec Lupus, mélange de récit introspectif et de SF poétique. Mais cette fois, Frederik Peeters est passé à la couleur, et ça ne lui va pas si mal, même si la tonalité littéraire de l’histoire pouvait supporter largement le noir et blanc. Le trait a gagné en précision, mais se fait en même temps plus conventionnel. Un peu comme une version grand public de Lupus, avec les mêmes obsessions de l’auteur mais davantage en mode aventure : la perte de l’être aimé, la maladie silencieuse (le personnage principal Verloc est victime d’une maladie de peau, le lupus en est une également), la marginalité au sein d’un monde normatif et étouffant, les paradis artificiels, l’incommunicabilité, l’étrangeté du monde et la difficulté à trouver sa place dans l’univers.
L’histoire bénéficie d’un scénario assez complexe, avec moult flashbacks, où il faut parfois faire preuve d’attention, particulièrement dans le tome 1, mais reste cohérent. Les personnages sont bien campés, et la relation entre Verloc et Myo évoque immanquablement celle entre Lupus et Saana. Pour les textes, l’auteur s’est basé sur le carnet de bord du personnage principal, conférant ainsi une couleur littéraire et une profondeur au récit.
Avec cette série atypique, l’auteur nous donne à voir toute sa puissance créatrice. On en prend alors plein les yeux, pénétrant un monde entièrement inconnu, un monde où grouillent plantes et autres créatures mi-organiques mi-synthétiques, aussi bizarroïdes que monstrueuses. On est littéralement subjugué par ce déferlement visuel prodigieux.
A l’état plus ou moins latent dans Lupus, cette obsession de Peeters pour les formes de vie invisibles, mystérieuses et grouillantes, explose à pleine puissance ici. On est à la fois saisi d’effroi et émerveillé, alors que de multiples questions assaillent l’esprit, sous l’effet d’un vertige métaphysique.
Cette BD unique en son genre, mélange d’aventure et de science-fiction aux accents très « psy », pose donc beaucoup de questions et appartient de par sa créativité aux œuvres supportant aisément plusieurs lectures, tant en nombre qu’en grilles… A l’heure où les apprentis sorciers de la Silicon Valley se prennent pour des démiurges et rêvent d’inventer une nouvelle humanité guidée par la technoscience, Peeters prouve avec cette série son talent de visionnaire, avec cette question en toile de fond : quel sera le seuil de progrès à partir duquel nous perdrons définitivement notre humanité, celle qui fait de nous des êtres en proie au doute, avec leurs faiblesses et leur imperfections ? (août 2013)
Aâma (série en 4 tomes)
Scénario & dessin : Frederik Peeters
Editeur : Gallimard
env. 88 pages et 18 € par tome
Parution : entre octobre 2011 et octobre 2014
Angoulême 2013 : Prix de la série pour le tome 2
