
Un phare perdu sur un rocher, battu par les vagues. Dans ce phare, un homme que personne n’a jamais vu, surnommé « Tout Seul ». D’aspect monstrueux, paraît-il. Orphelin, ravitaillé par un pêcheur à la demande du père décédé depuis quinze ans. Mais que peut-il bien faire de ses journées, ce pauvre hère, dans une telle solitude ?
L’histoire, très bien construite, sur un pitch très original et intrigant, démarre de façon très visuelle, sur les trente première pages, avec ces plans virevoltants autour des mouettes, du phare et du chalutier. Impression d’espace, de liberté. Puis viennent les premiers échanges, tendus, entre le pêcheur irascible et son ouvrier taciturne. Retour au visuel. Images de feuillages. Un arbre. Un cheval qui part au galop. Puis de nouveau le chalutier. Début de questionnement et d’empathie de la part de l’ouvrier, ancien taulard lui-même, sur cet être oublié de l’humanité et prisonnier de son phare …retour sur le phare, à l’intérieur cette fois, l’envers du décor, lugubre, suintant la solitude… vues sur des pièces vides, des meubles, une chaise, des objets hétéroclites, seules traces de l’existence d’un autre monde…
Tel un sorcier animiste, Chabouté sait faire parler les objets les plus insignifiants comme personne, avec des plans serrés sur une lampe, un briquet usagé ou une vieille tong orpheline. Des objets récupérés au gré des courants comme des trophées dérisoires, exprimant tellement plus que les mots, révélateurs du personnage bien avant qu’on ne découvre son apparence physique… On découvrira que celui-ci, loin de se morfondre, a développé une faculté propre à l’enfermement et l’absence de liberté : l’imagination.
A l’aide de son trait joliment déchiqueté, allié à un noir et blanc se suffisant à lui-même, l’auteur nous propose une jolie fable sur la liberté, arguant que la destinée, si elle peut être infléchie par un événement mineur ou une rencontre hasardeuse, devra pour cela toujours être relayée par un choix individuel. Les faits les plus anodins peuvent alors prendre une dimension purement magique. C’est cela que nous montre Chabouté avec beaucoup de poésie et une pincée d’humour aigre-doux en direction de nos us et coutumes modernes. Mon seul regret : ce pavé, malgré ses 370 pages, se dévore beaucoup trop vite… [mai 2013]
Tout seul
Scénario & dessin : Christophe Chabouté
Editeur : Vents d’Ouest
365 pages – 25 €
Parution : 17 septembre 2008