Survivre en enfer

Walking Dead
Walking Dead © 2007-2016 Robert Kirkman & Charlie Adlard/Tony Moore/Stefano Gaudiano (Delcourt)

Longtemps assimilé à la sous-culture popcorn US, le genre zombie, cette branche du fantastique a proliféré dans les domaines du cinéma, du jeu vidéo et de la BD. Et pourtant, le cinéaste Georges Romero, héritier de la culture contestataire des années 60, depuis sa cultissime Nuit des morts-vivants et les suites qui en avaient découlé, avait justement utilisé les zombies pour dénoncer le système consumériste de nos sociétés capitalistes. Avec Walking Dead, Robert Kirkman et Charlie Adlard transcendent le genre avec un format qui s’apparenterait plus au roman graphique qu’au comics typique à la Marvel, conférant à ses personnages (les vivants bien entendu…) une profondeur psychologique assez surprenante, aucun ne possédant les caractéristiques du héros classique. Le personnage central, Rick Grimes, censé endosser cette position, a lui-même ses failles et ses zones d’ombre.

walking-deadSi le trait, nerveux, est assez classique, il est toutefois bien adapté à ce survival horror comics, dont le scénario, très bien construit est si captivant qu’on oublie totalement que le dessin est en noir et blanc. Sur le plan de la mise en page et du cadrage, rien à dire, c’est parfait. Les personnages sont attachants et bien campés psychologiquement, ce qui, on pourrait le concevoir, est la moindre des choses face à des hordes de zombies hargneux et décervelés ! On se dit que décidément, les Ricains sont toujours très forts en la matière. Le récit est émaillé de multiples rebondissements mais le dosage entre scènes d’action et scènes plus calmes est équilibré. De façon générale, à peine a-t-on déposé le livre qu’on a déjà envie de le rouvrir pour découvrir la suite. Certaines scènes sont dignes de l’Enfer de Dante, et même si faire peur n’est pas le but premier des auteurs, certains risquent tout de même de faire quelques cauchemars… Mais cela serait oublier le vrai talent du dessinateur qui reproduit avec réalisme et sensibilité les différentes attitudes des personnages, sachant révéler avec justesse leurs états d’âme d’un simple coup de crayon… car la saga est aussi et surtout une aventure humaine, où les auteurs explorent les tréfonds de l’âme, des plus nobles aux plus sombres. Avec cette question lancinante : jusqu’où peut-on aller pour assurer sa survie et celle de ses proches dans une situation difficile ?

Pendant une bonne partie de la série, aucun indice n’est fourni sur les raisons d’une catastrophe qui semble avoir touché le monde entier. Inutile d’allumer le poste pour avoir des informations ou d’attendre d’hypothétiques secours, il n’y a plus rien, seulement la mort qui rôde et ses charognards sans sommeil. Depuis Romero, le genre zombie est un mythe qui correspond complètement au Zeitgeist de la fin du XXe siècle et est repris avec brio par les auteurs qui en font une espèce de télé-réalité sombre et post-apocalyptique, avec ses maillons faibles, où les valeurs de l’Occident, du tout confort, de l’hyperconsommation, du « fun of life », sont réduites en charpie… Un mythe qui ne peut que fasciner, lié aux grandes épidémies et à la terreur qu’elles suscitent, de la Peste noire au Sida, en passant par la grippe espagnole… mais également au cannibalisme qui nous renvoie avec effroi à nos origines les plus primitives…

Toute américaine qu’elle soit, cette œuvre n’a rien d’une production typique US avec ses « happy ends » et ses héros invincibles sortant indemnes de toutes les chausse-trappes. Elle réussit à briser quelques conventions, notamment celle du manichéisme poisseux hérité d’Hollywood. Et à bien des égards, je peux vraiment dire que j’ai été scotché par cette série, qui, en recourant à des procédés parfois « bourrins » ou trash dans la forme, ne s’interdit rien pour mettre à jour les aspects les moins glorieux de l’âme humaine. C’est peut-être ce que permet la BD par rapport au cinéma, car quand on compare à la série TV qui en a été inspirée, on voit bien que cette dernière, malgré ses qualités, a été largement édulcorée par rapport à l’œuvre originale, sans doute dans le but de toucher un plus large public.

En résumé, Walking Dead est une bédé puissante, qui prend… aux tripes. C’est facile, je sais, mais c’est la meilleure définition…. (juin 2012)

Walking Dead
Scénario : Robert Kirkman
Dessin : Charlie Adlard
Editeur : Delcourt
25 tomes parus de juin 2007 à mars 2016
14,50 € par tome

Eisner Award 2010 : Best Continuing Series

⊗ Adaptation en série TV : The Walking Dead, par Franck Darabond et Robert Kirkman

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