
Passionnante lecture que ce carnet de bord illustré dans lequel l’auteur raconte son séjour en Corée du nord, le régime le plus dur et le plus fermé de la planète, survivance terrifiante du stalinisme. Un régime qui pourtant accueille parfois des Occidentaux pour des missions spécifiques (mais très encadrées !) dans ses grands hôtels déserts… Un pays comme un véritable cauchemar politique…
Accueilli en Corée du Nord en tant que superviseur de films d’animation, GuyDelisle prend sans le vouloir la casquette de journaliste, car il lui eut été très probablement impossible de faire ce travail en se présentant comme tel dans ce pays. Et c’est cela qui donne tout son intérêt à l’ouvrage, vu le peu d’informations nous parvenant de là-bas. Qui plus est, tout est tellement contrôlé, tellement surveillé, que faire des photos comme il le souhaitait aurait été compliqué, même en tant que touriste… Comme on peut s’en douter, il s’agit plus d’un témoignage que d’un reportage (il est quasiment impossible pour un étranger de se promener sans guide ou traducteur), mais cela n’empêche nullement d’être captivé par sa lecture, tant ce pays est unique en son genre, hors du temps, coupé du monde réel, fascinant et terrifiant à la fois.
Avec son dessin minimaliste et pertinent, l’auteur, qui est resté deux mois à Pyongyang, nous plonge dans ce qui s’apparente littéralement à un monde parallèle, un univers glaçant, où les citoyens n’ont que deux alternatives : vivre comme des marionnettes entièrement dévouées à leur dirigeant Kim Jong-il ( (qui se présente quasiment comme un Dieu vivant), ou comme des fantômes silencieux errant dans la ville sombre (pénurie oblige) en quête d’on ne sait trop quoi, de nourriture peut-être, ou encore de vérité, à moins que ce ne soit d’oubli… Les situations décrites sont souvent surréalistes, presque comme dans un rêve (enfin, plutôt un cauchemar). La propagande mensongère destinée autant à glorifier le leader suprême qu’à masquer les pénuries et la misère d’une grande partie du peuple semble avoir étendu son emprise jusque dans les cerveaux. La seule marque de subversion constatée par Delisle au cours de son séjour de deux mois provint d’un Coréen qui avoua trouver les films de son pays « ennuyeux »… un véritable acte de courage tant la répression y est féroce. Inévitablement, l’auteur fait allusion au célèbre roman de George Orwell, 1984, qu’il avait emmené dans ses valises, pas tout à fait innocemment on s’en doute… (août 2010)
Pyongyang
Scénario et dessin : Guy Delisle
Editeur : L’Association
Collection : Ciboulette
152 pages – 24 €
Parution : 15 novembre 2002