Au malheur des ogres

Dans un royaume imaginaire, la naissance du dernier descendant du Roi-ogre provoque l’effroi à la Cour. Le nouveau-né, portant les signes de la dégénérescence qui voit chaque génération devenir toujours plus petite, est d’une taille comparable au bétail humain servant à nourrir le monarque et ses souverains. Il sera soustrait à la voracité de son père par sa mère, Emione, qui compte régénérer la race en le mariant à une humaine. En attendant, elle le confie à tante Desdée, mise à l’écart de la Cour pour avoir refusé de manger des humains.

ogres-dieuxUn lourd et bel écrin pour une œuvre atypique, en noir et blanc, dont le thème vient puiser dans les terreurs enfantines suscitées par les contes populaires, Le Petit Poucet étant le plus emblématique. Sauf qu’ici, « Petit » n’est pas un humain mais un ogre. Comme Poucet, il est de taille réduite par rapport à la norme. Comme Poucet, le père cherche à s’en débarrasser mais pour d’autres raisons, juste parce qu’il porte les signes de la consanguinité. Celui-ci devra se débattre entre les pulsions violentes propres à ses origines et l’humanisme enseigné par sa tante Desdée. Le récit est structuré selon deux axes narratifs entrelacés, d’une part la BD, d’autre part des textes illustrés racontant la vie des différents souverains depuis le fondateur.

Graphiquement, on est séduit d’emblée par ces à-plats noirs conférant une atmosphère gothique à l’histoire. Cadrage et dessin révèlent chez son auteur un sens incontestable du rythme et du mouvement. Par sa capacité à représenter la démesure de ces ogres gargantuesques, Bertrand Gatignol parvient à insuffler du souffle à la hauteur de ce récit dantesque où l’on assiste aux derniers soubresauts d’une dynastie fin de race dans une ambiance fin de règne.

Un bémol très personnel toutefois. J’ai peu apprécié l’expression de certains personnages notamment la physionomie « manga » du jeune ogre (une tête d’enfant posée sur un corps d’athlète), moi qui ne suis pas spécialement client du genre à l’exception d’œuvres plus matures dans la lignée de Taniguchi ou plus poétiques comme les films d’animation de Miyazaki. Par ailleurs, l’histoire d’amour entre Petit et la jeune fille a des allures de bluette mais reste adaptée à ce conte. Cela étant dit, ce n’est pas un livre destiné aux enfants de par la violence et la crudité de certaines scènes.

L’ensemble reste tout de même très correct, même si en deçà de mes attentes. Mais indéniablement les auteurs ont fait preuve d’originalité et d’audace avec cet album qui contient une grille de lecture philosophique : la question du déterminisme familial. Une œuvre qui sort du lot parmi les productions de 2014. Il s’agit apparemment du premier tome d’une série mais qui se lit néanmoins comme un one-shot.

Les Ogres-Dieux t.1 : Petit
Scénario : Hubert
Dessin : Bertrand Gatignol
Editeur : Soleil
152 pages –  34,90 €
Parution : 3 décembre 2014

Lire la chronique du tome 2 : Demi-Sang
Lire la chronique du tome 3 : Le Grand Homme

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