Un astre pour nos désastres

Avaler la lune, tome 1 : l’ascenseur © Grégory Jarry, Lucie Castel et Robin Cousin (Casterman)

Temps de lecture ≈ 1 mn 15

Hors des codes classiques, cette bande dessinée d’anticipation, à la fois originale et sans effets de manche spectaculaires, vise avant tout à alimenter notre réflexion concernant le sort de notre planète, désormais entre les mains d’une poignée d’oligarques cupides et peu scrupuleux.

[résumé éditeur :] En s’entêtant dans un programme titanesque pour installer sur la Lune un générateur d’énergie propre et infinie, des dirigeants d’entreprises technologiques précipitent la fin de l’Humanité. 500 ans plus tard, Agafia, fille de deux architectes du projet, entame un voyage vers la Lune pour parachever leur œuvre, et faire revenir la vie sur une Terre ravagée par des pluies acides…

Premier volet d’une trilogie de science-fiction, cette bande dessinée constitue une bonne surprise. Très en phase avec notre réalité terrestre actuelle, elle a pour thème central l’extinction de la vie sur notre planète bleue. A l’heure où une poignée de milliardaires à la tête de multinationales sont en train de s’accaparer les ressources et décider du sort de l’humanité, sans concertation et sans égard pour les populations, le sujet du livre, qui évoque cette question, est donc plus que sérieux.

Pour concevoir ce récit, Grégory Jarry s’est inspiré notamment d’un projet évoqué à maintes reprises par les plus rêveurs des scientifiques : un ascenseur spatial entre la Terre et la Lune. Un projet fou repris par la NASA mais dont on ne sait vraiment s’il verra le jour ni sous quelle forme. Quant aux circonstances de sa construction dans le récit, elles étaient liées au projet dément de provoquer l’effondrement de la vie terrestre, prix à payer pour implanter un puissant générateur d’énergie propre et infinie sur la surface lunaire.

C’est ainsi que l’on va suivre la jeune Agafia dans sa mission consistant à terminer ce que son père, décédé accidentellement, avait entrepris : rejoindre la Lune à l’aide de l’ascenseur spatial. Seule sur une terre rongée par les pluies acides, elle communique avec sa mère immergée dans un plasma qui la maintient en vie depuis 500 ans, et on va la voir se déplacer dans un exotérus, un drôle d’engin insectoïde (que l’on voit en couverture). C’est dans celui-ci qu’elle a retrouvé la dépouille de son père et qu’elle utilise désormais pour sa mission.

Avaler la lune, tome 1 : l’ascenseur © Grégory Jarry, Lucie Castel et Robin Cousin (Casterman)

Quelque peu complexe, le scénario est toutefois intrigant, oscillant à coup de flashbacks entre deux temporalités différentes, ce qui ne fera que renforcer le mystère : mais pour quelle raison les instigateurs du projet (à l’exception de la mère d’Agafia) semblent-ils quasiment tous avoir disparu dans des conditions obscures ? Jarry a développé un univers cohérent en extrapolant les technologies actuelles, avec des personnages bien structurés, même si ce tome ne permet pas d’être encore totalement familiarisé avec eux.

Le trait nerveux et minimaliste de Lucie Castel, plaisant par son côté peu académique, est rehaussé par le travail sur la couleur de Robin Cousin. Les choix chromatiques permettent de poser des ambiances variées. Plus sombres, un rien fluo ou désaturées selon les passages, les tonalités suggèrent une atmosphère artificielle voire menaçante dans ce contexte où la biodiversité a totalement disparu de la planète.

Pour se faire une idée définitive, il faudra sans doute attendre de découvrir la suite (le tome 2 doit paraître fin août), mais force est de reconnaître que les auteurs sont parvenus à nous mettre en appétit et à susciter notre curiosité avec ce premier tome.

Avaler la Lune, tome 1 : l’ascenseur
Scénario : Grégory Jarry et Robin Cousin
Dessin : Lucie Castel
Couleurs : Robin Cousin
Editeur : Casterman
96 pages – 20 € (version num. : 14,99 €)
Parution : 8 janvier 2025

Extrait de l’entretien des auteurs par l’éditeur :

Lucie Castel — On a voulu montrer l’absurdité de penser que la solution à la catastrophe écologique ne serait qu’une question technique ou technologique. Il nous semblait aussi intéressant de mettre en scène des responsables de la catastrophe pétris de bonnes intentions : ils souhaitent sincèrement sauver la planète, mais en voulant absolument tout contrôler, en étant incapables de changer leur manière de penser et encore moins leur mode de vie.

Grégory Jarry — La science nous nourrit par sa capacité à remettre en question nos certitudes et nous force à regarder le monde comme une source de curiosité et d’étrangeté. Il nous semblait important d’apporter un semblant de réalisme en nous inspirant de véritables recherches actuelles. Nous sommes allés regarder du côté de la soft-robotic, de la géo-ingénierie, jusque dans les projets les plus fantasques d’ascenseurs spatiaux ou d’allongement de la vie. On voulait que le lecteur puisse raccrocher notre histoire au monde qui l’entoure, qu’il puisse y croire pour qu’il accepte qu’on l’amène plus loin. Car dans les tomes suivants, le scénario prend de plus en plus de liberté avec le réalisme pour tirer progressivement vers le fantastique, ou en tout cas, de la SF moins « hard ».

Robin Cousin — Toute l’étrangeté du monde actuel vient du fait que le vivant et la technologie humaine sont de plus en plus entremêlés. Quelle partie de la planète n’a pas été transformée par les humains ? Combien d’espèces animales et végétales sont les produits de croisements génétiques ? Quelle espèce n’a pas dû s’adapter au dérèglement climatique ou à la pollution causée par nos technologies ? Notre histoire raconte aussi comment les humains, et en particulier certaines idéologies (capitalisme, solutionnisme…), amènent à considérer le vivant uniquement comme une ressource à exploiter.

Avaler la lune, tome 1 : l’ascenseur © Grégory Jarry, Lucie Castel et Robin Cousin (Casterman)

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